Si vous lisez cet article, c’est que vous vous êtes probablement déjà penchés sur la question de l’écriture du dialogue dans les fictions.
La plupart des articles sur le sujet soutiennent que l’image doit « parler » avant le dialogue. Et que celui-ci ne doit intervenir qu’en dernier recours.
Mais si cela ne vaut que pour les films de cinéma, il en va tout autrement pour les séries télévisuelles.
Je vous mets au défi de fermer les yeux pendant votre série préférée. Vous « verrez », tout y est dit. L’image est presque inutile.
Les séries s’écoutent avant de se regarder…
Issues de la tradition radiophonique, les séries s’écoutent avant de se regarder. Elles sont audio, avant d’être visuelles.
Pour varier les plaisir et mieux maitriser cette technique particulière, il est donc nécessaire de mieux connaître ce que Michel VINAVER appelle les figures textuelles.
Cet homme de théâtre français a dressé dans son livre Écritures dramatiques (Acte Sud) une liste exhaustive de tout ce qui se dit ou se joue dans un dialogue.
Je vous livre ses conclusions et en premier lieu ce qu’il appelle les figures textuelles fondamentales qui peuvent s’appliquer à une réplique ou à une partie de réplique.
Elles sont au nombre de cinq :
- L’Attaque : le fait de porter un coup ou de chercher à ébranler l’autre dans sa position, à le faire bouger.
- La Défense: le fait de repousser une attaque, de chercher à persévérer dans sa position et à la préserver.
- La Riposte : le fait de réagir à l’attaque par une contre-attaque.
- L’Esquive : le fait d’éluder l’attaque, de chercher à y échapper, à se soustraire au coup, de fuir ou de s’écarter.
- Le Mouvement vers : le fait d’aller vers l’autre dans un mouvement de rapprochement.
On peut rapprocher cette succession de figures de la typologie des scènes que l’on retrouve selon le genre du récit que l’on utilise. (Je vous recommande à ce sujet la masterclass High Concept sur les 18 genres hollywoodiens à savoir maîtriser quand on veut faire la différence sur le marché.)
Ainsi, le quatuor « Attaque-Défense-Riposte-Esquive » est idéal pour exploiter le conflit entre personnages. Par exemple, dans les scènes d’interrogatoire du genre Policier.
Le « Mouvement vers », lui, est typique des scènes de réconciliation du Drama (C’est ici, pour tout connaître du genre le plus prisé des scénaristes français).
Les autres figures textuelles
Michel VINAVER répertorie également d’autres figures textuelles complémentaires qui peuvent servir de réplique entière ou partielle.
Le récit : des faits passés qui sont rapportés.
Cette figure est associée au flashback et aux ouvertures de film, qu’importe le genre dramaturgique utilisé.
Le plaidoyer
Dans une situation conflictuelle, argumentation en faveur d’un point de vue, d’une thèse, d’une position.
Avec « l’Annonce »
C’est l’une des figures textuelles dédiée de l’aftermath du genre Policier, qui permet de défendre une hypothèse ou une théorie avant de poursuivre une enquête.
La profession de foi
Présentation d’une croyance, d’une conviction, en dehors de tout conflit.
La profession de foi s’apparie bien avec le genre Action. Je vous renvoie à ce sujet à l’excellente masterclass High Concept sur le genre Action (seule masterclass dédiée disponible) et à notre conseil sur comment écrire un bon méchant de cinéma ou de tv.
L’annonce
La chose annoncée peut être une intention, une décision. Elle se rapporte au présent ou à l’avenir.
Sans doute la figure la plus importante dans les scènes d’aftermath du genre Policier. Après débats et conflits, les personnages annoncent la ou les pistes qu’ils vont suivre.
La citation
Inclusion, dans une réplique, de propos rapportés, oraux ou écrits.
On retrouve souvent la citation en Comédie. Un exemple me vient tout de suite, il s’agit de cette réplique de Ross dans Friends après sa rupture avec Rachel, qui est devenu un gimmick de la série : « We were on a break !!! ».
Le soliloque
Un personnage s’interroge, ou se parle, ou laisse sa parole se dévider, seul, ou en présence d’autres personnages, ou même en situation apparente de dialogue.
L’adresse au public
Rompant avec la fiction théâtrale, un personnage parle à la salle. Dans le cas présent, un personnage s’adresse à nous, face caméra ou en voix-off.
Dans le dernier Woody Allen, Justin Timberlake s’adresse physiquement directement à nous dans la scène d’ouverture et nous explique le début de l’histoire.
Le discours composite
Réplique où se combinent indissociablement une pluralité de figures textuelles.
D’autres figures textuelles existent et s’appliquent à un ensemble de répliques.
- Le duel : groupe de répliques à dominante attaque-défense-risposte-esquive.
- Le duo : groupe de répliques à dominante mouvement vers.
- L’interrogatoire : succession de questions et de réponses.
- Le chœur : personnages parlant ensemble, mais aussi succession de répliques ou l’individualité des personnages s’efface pour laisser la place à un effet choral.
Les figures textuelles relationnelles
Michel VINAVER conclue cette liste par ce qu’il appelle les figures textuelles relationnelles s’appliquant à une réplique dans sa relation avec le matériau textuel qui le précède.
- Le bouclage : imbrication dans la réplique précédente.
- L’effet-miroir : renvoi à l’intérieur d’une réplique à un élément précédent.
- La répétition-variation : réitération d’un élément textuel passé.
- La fulgurance : une réplique crée une surprise par rapport à ce qui précédait.Cette dernière figure se retrouve fréquemment dans la Comédie.
En cadeau, voici la dernière grande scène du film Lord Of War (Attention Spoiler!) qui regroupe quelques-unes des figures évoquées dans cet article.
Régalez-vous !
Pour approfondir vos connaissances sur les techniques de dialogues, je vous invite à consulter la masterclass High Concept sur le sujet : Ecrire une continuité dialoguée efficace.
Je vous renvoie également à l’article de Marc-Olivier Louveau : 24 procédés de construction de dialogues.
Bonne lecture