Les séries digitales et ce qu'on appelle plus globalement les "nouvelles écritures" seraient-elles une nouvelle voie de créativité pour le cinéma et la télévision ? Elles révolutionnent en tous les cas les formats de narration.
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Le 19 juin dernier, l’ARP (la société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs) organisait des rencontres destinées aux professionnels, autour de la création, au Cinéma des Cinéastes à Paris. Dans un atelier, animée par la productrice Gaëlle Girre, était soulevée la question des nouveaux médias. Qu’apportent-ils aux récits ? A l’écriture ? A la narration ? Le choix du format impacte-t-il l’histoire ? Ou est-ce l’histoire qui guide le choix du format créatif (et de diffusion) ? Quelle place occupe l’expérience du spectateur dans l’option créative de tel ou tel média ? Décryptage avec quatre réalisateurs.
Jan Kounen, The Show
Si la pression sur le contenu, que subissent le cinéma et la télévision aujourd’hui, tend à uniformiser la fiction, les séries digitales, elles, offrent une plus grande liberté de création. C’est en tout cas ce que constate le réalisateur Jan Kounen qui, après être passé par le cinéma et le documentaire, s’attaque au digital.
Avec The Show, série diffusée sur l’application mobile Blackpills, le réalisateur raconte l’histoire d’une jeune diplômée d’Harvard qui rejoint le plus grand moteur de recherche du monde pour le saboter de l’intérieur. Dans cette série, les personnages parlent directement aux spectateurs. Le procédé n’est pas nouveau et a déjà été maintes fois utilisé au cinéma ou en série TV.
« Mais sur un mobile, l’expérience est différente, plus intime, plus personnelle, mon téléphone, je suis le seul à le regarder, explique Jan, et quand elle dit : éteignez votre téléphone ! C’est à moi qu’elle s’adresse ».
Paradoxal et amusant d’ailleurs, une série mobile où le personnage nous invite à éteindre notre téléphone. On imagine mal un film au cinéma où le personnage nous demanderait de sortir de la salle. Encore que…
Timothée Hochet, Calls
En terme d’expérience différente, la série Calls réalisée par Timothée Hochet et diffusée par Canal+, n’est pas en reste, et pour cause, c’est une série… qui s’écoute. Des appels à Police secours aux enregistrements de la boîte noire d’un avion, on suit des évènements survenus à différentes époques, mais tous connectés à une apocalypse imminente.
Le but de l’expérience : stimuler l’imagination, explique Timothée. Là encore, on pourra arguer que l’expérience est possible au cinéma, on se souvient de Buried où Ryan Reynolds passe le film enfermé dans un cercueil sans comprendre ce qu’il fait là, le 5.1 rend d’ailleurs l’expérience sonore intéressante, mais on imagine mal venir en salle pour voir un film les yeux fermés. Encore que…
Simon Bouisson, Wei or Die
Dans la série Wei or Die réalisée par Simon Bouisson et diffusée par France Télévision Nouvelles Ecritures, c’est le spectateur qui choisit ses angles de vue, c’est lui qui mène l’enquête derrière son ordinateur et qui devient responsable du film qu’il regarde.
Une fiction immersive et interactive donc, mettant en scène un week-end d’intégration étudiant qui tourne mal. Que s’est-il passé ? Pour le savoir, vous avez à votre disposition les films tournés par les étudiants que la police a récupérés. 90 minutes de fiction pour une expérience d’au minimum 45 minutes, selon la vitesse de votre enquête.
L’expérience est concluante puisque Simon nous annonce la sortie de sa prochaine série République, écrite suite aux évènements du Bataclan, où l’on peut suivre les points de vue de trois personnages filmés au téléphone, ayant vécu en temps réel un attentat à la station de métro République.
« Le spectateur choisit la distance qu’il veut avoir avec l’histoire » explique Simon.
On se souvient du film Time code, sorti au cinéma il y 18 ans, où l’écran, partagé en quatre, diffusait quatre plans séquence en même temps. Le spectateur pouvait certes choisir quel plan regarder, mais l’interactivité ne sera jamais la même au cinéma où l’on est captif d’une histoire qu’on ne peut contrôler. Si on a loupé quelque chose, on pourra jamais revenir en arrière. Et il n’y a pas d’ « encore que.. » qui tiennent.
Camille Ghanassia, Le Meufisme
Une liberté de création donc, mais aussi une liberté d’expression.
« Sans Youtube, notre série n’aurait jamais pu exister explique Camille Ghanassia, la réalisatrice de la série « Le Meufisme », la télévision ne nous aurait préalablement jamais accordé la même liberté d’expression, c’est paradoxalement quand on n’a pas de financement qu’on a les mains libres. »
Mais des contraintes fortes…
Budget
- Pour The Show : seulement 18 jours de tournage pour 8 épisodes et 90 minutes de film. La même durée qu’un long-métrage mais pas la même durée de tournage, nous informe Jan Kounen.
- Encore plus court pour Wei or Dei où Simon Bouisson ne disposait que de 10 jours de tournage pour 90 minutes de film !
- Et pour Le Meufisme, Camille nous confie que ce n’est qu’une fois la série reprise par Canal+ que les acteurs ont pu être payés au tarif syndical (270€ brut)…
La liberté a un prix.
Format
Dans ces nouvelles perspectives de narration, on parle finalement de taille d’écran, de lieu de visionnage ou d’interactivité. C’est à dire de la forme d’un récit, mais pas du fond.
Que ce soit au cinéma ou sur son mobile, une bonne histoire restera toujours une bonne histoire et un mauvais déclencheur ou un mauvais climax ne sera pas sauvé par l’expérience qu’apporte le format. Il n’est par ailleurs pas rare qu’un récit n’atterrisse pas sur le support initialement prévu pour lui. Le film Annihilation par exemple, sorti cette année, était prévu pour le cinéma et se retrouve finalement sur Netflix.
De même, je me plais à penser qu’un film conçu au téléphone portable pour les réseaux sociaux pourrait se retrouver sur grand écran.
Et vous, vous en pensez quoi ?
Xavier Inbona, HC
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