Cette semaine, nous voyons comment créer et gérer LE CONFLIT de votre scénario, c’est-à-dire la tâche de votre histoire.
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Bonjour à tous ! Le cœur de votre récit (le « 2 de votre concept » pour paraphraser Cédric), peut se trouver à l’aide de deux propositions : la proposition thématique et la proposition dramatique. Action !
Nous avons vu dans mon premier article pour High Concept l’importance de la note d’intention, de la signification, de l’histoire que l’on veut raconter. Le pourquoi de l’action. Ce petit rappel était indispensable pour bien comprendre ce qui va nous occuper cette semaine : comment créer et gérer LE CONFLIT de votre scénario, c’est-à-dire la tâche de votre histoire (voir la masterclass vidéo sur cette notion indispensable : Comment écrire un scénario sans peine avec la tâche (voir notre formation gratuite aux fondamentaux de l’écriture agile)).
Le cinéma, psychologiquement parlant, est comportementaliste.
Tout comportement humain est la rencontre d’un acte et d’une signification. Derrière tout geste il y a un sens (même inconscient). Derrière toute action, un thème.
Il ne faut donc pas commencer par écrire comment un homme tue sa femme, mais par pourquoi ? Ce pourquoi vous permettra ensuite d’élaborer avec beaucoup plus d’efficacité, de force et de créativité le comment il la tue. Grâce à deux phrases :
- La proposition dramatique définit l’action ; d’autres scénaristes l’appellent aussi l’intrigue. Elle exprime en une seule phrase : le personnage, le conflit et la résolution de l’histoire :« Celui qui ne pensait qu’au pouvoir va découvrir que l’amour est plus important. »
- La proposition thématique définit le pourquoi de l’action, le sens de cette action, porté par le personnage principal, le protagoniste de l’histoire : « Parce que celui qui n’était que haine va ressentir l’amour. »
(C’est une proposition possible, il y en a d’autres.)
Il ne peut y avoir qu’une seule proposition dramatique et thématique principale pour un scénario, les autres propositions seront secondaires et portées par les personnages secondaires (ceux qui forment le schéma actantiel de Greimas : l’adjuvant, l’antagoniste, le destinateur — nous y reviendrons dans mon prochain article consacré aux personnages) et elles devront se plier à la proposition principale. Ce lien de subordination implique 1) que la proposition dramatique secondaire mette toujours en valeur la principale (plusieurs techniques sont possibles : par contraste, mise en abîme, en parallèle, en opposition…), et 2) que la proposition thématique secondaire soit l’antithèse de la principale. Par exemple, pour les propositions dramatique et thématique principales énoncées plus haut, voici deux propositions secondaires (dramatique et thématique) possibles : — « Celui qui ne voulait pas du pouvoir va devoir le prendre. » — « Parce que celui qui n’était qu’amour va ressentir la haine. » Une action possède donc toujours cette double composante. Le but concret étant de nature dramatique. La psychologie se situant au niveau thématique. Que ce soit sur le plan principal ou secondaire. Ce petit rappel était indispensable pour bien comprendre ce qui va nous occuper aujourd’hui : LE CONFLIT. Résultante des nos deux propositions : thématique et dramatique. Le conflit interne et le conflit externe : le premier engendrant le second.
Le conflit est le fondement même du drame. C’est l’ingrédient principal de toute forme dramatique.
Le conflit est le moteur dans la vie des hommes et des femmes. C’est l’énergie qui les fait rentrer en action (en réaction). De la naissance à la mort, tout n’est que conflit. Conflit avec soi-même, avec les autres, avec la société, avec Dieu… On peut être en conflit avec tout ce qui compose la vie, avec tout ce qui peut nous mettre en péril. D’ailleurs, s’il n’y a pas de conflit, matérialisé par des obstacles à franchir, il n’y a pas d’histoire. A l’instar de la vie, le conflit est le moteur de la dramaturgie. C’est lui qui créé l’action (réaction) et détermine les obstacles et les buts. C’est lui aussi qui exprime le sens (la psychologie) de l’action. Il y a donc deux types de conflit. Le conflit interne (psychologique) et le conflit externe (l’action). Un exemple simple pour illustrer ce propos :
Un type arrogant, macho, convaincu du pouvoir qu’il détient sur sa femme apprend qu’elle le quitte. Alors qu’il montait à cheval, il donne un coup d’éperons d’une extrême violence. Le cheval s’emballe et part dans un galop incontrôlable. L’homme s’accroche et finit par être éjecté dans un massif de ronce.
C’est le conflit interne, psychologique (la frustration et la colère) qui déclenche l’action (le coup de pied violent) et le conflit externe (la réaction incontrôlable du cheval) et enfin la chute. Son conflit interne a été projeté vers l’extérieur, sur le cheval, pour créer le conflit externe, un conflit relationnel entre lui et l’animal.
La proposition thématique porte le conflit interne qui, projeté vers l’extérieur, va créer l’action et créer le conflit externe, celui que porte la proposition dramatique :
- — « Celui qui ne supporte pas que sa femme le quitte va le payer de sa personne. »
- — « Parce que celui qui ne pense qu’à lui ne contrôle pas ses émotions. »
Tant sur le plan thématique que dramatique, une histoire est le traitement d’un conflit principal qui engendre des conflits secondaires, locaux, qui devront être résolus (vaincre les obstacles et atteindre les buts) pour permettre la résolution du conflit principal du film. Pour synthétiser, on dira que le conflit engendre toutes sortes de conflits tant que ce qui l’a généré n’est pas résolu. Un des préceptes du Ying et du Yang dit : « tout ce qui a une face a un dos ». Un second : « plus la face est grande, plus le dos est grand. » Dans ce sens, un conflit ne peut être gratuit, il doit toujours générer du sens. Et il faut pour cela toujours choisir le conflit interne le plus fort.
Conflit direct et conflit indirect
Le conflit direct est un conflit relationnel vécu par le personnage avec un ou plusieurs personnages, un animal, un objet… Dans notre exemple : le cheval. Conflit d’ordre relationnel que le conflit interne du personnage a engendré. Le conflit indirect est un conflit que seul le spectateur vit. Dans notre exemple, imaginons que le spectateur apprenne que la sangle de la selle de notre protagoniste est usée à l’extrême et ne tiendra pas une telle cavalcade. Notre personnage, lui, ne le sait pas, avant de se retrouver dans les ronces. Le conflit indirect fait toujours vivre aux spectateurs du conflit, même quand il y a absence de conflit direct entre les personnages. C’est le cas d’une histoire qui se déroule dans la souffrance générale d’une époque, la guerre, la peste, un ouragan et qui nous ramène à notre triste condition humaine.
Identification et émotion
Le conflit a un grand pouvoir d’identification sur le spectateur car il est créateur d’émotion. Lorsque l’émotion du personnage en conflit est vécue par le spectateur, une identification très forte s’établit. Un lien de plus en plus proche se créé. Même un personnage négatif qui vit du conflit attire notre intérêt :
Hitler se cache pour pleurer, le chien qui l’accompagne depuis quinze ans est en train de mourir.
Malgré l’antipathie que nous pouvons ressentir pour ce personnage, nous ressentirons tout de même sa souffrance.
Le pouvoir du conflit est de pouvoir forcer le spectateur à s’intéresser à des personnages antipathiques.
Si le personnage qui vit cette souffrance est de surcroit sympathique, l’identification et l’émotion du spectateur sera encore plus grande.
Le conflit, le plus bel outil de compassion.
Il faut noter en passant que les scènes les plus émouvantes dans l’histoire du cinéma sont des scènes où le spectateur a ressenti beaucoup d’émotions en s’identifiant au conflit psychologique du personnage. C’est ce conflit interne qui fera avancer psychologiquement votre personnage principal. Et comme nous l’avons vu, il sera générateur de conflits externes. Donc plus un personnage vit du conflit, plus le spectateur s’identifie à lui. Il ressent l’émotion du personnage. Un lien très fort s’établit entre eux. Le pouvoir de l’identification émotionnelle est donc lié au pouvoir de nos émotions. Nous verrons dans mon prochain article qui concerne les personnages, que le protagoniste d’une histoire est celui qui vit le plus de conflits. Et que c’est d’ailleurs grâce à ces conflits que le spectateur s’identifie totalement à lui.
En attendant, n’hésitez-pas à me poser vos questions dans les commentaires. À bientôt !
Anonyme
Bonjour, et tout d'abord merci pour votre blog !
J'aurais une question assez précise à vous poser sur l'identification : Peut-on s'identifier pleinement (ou bien de quelles manières), à un personnage, au travers ses conflits, par ses faiblesses, etc., lorsque le film (ou l'épisode) est tourné uniquement en focalisation interne, à la première personne ? Peu de films ont tenté cette audace, et je ne suis pas sûr qu'on puisse y tirer des conclusions. Vous êtes-vous penchés sur cette question, ou avez des pistes vers lesquelles me guider ?
Merci pour votre réponse, et encore merci pour votre blog !
Bien à vous
High concept
Bonjour, je trouve cette question très intéressante ! Doit-on voir le visage d'un personnage, au moins une fois, pour ressentir de l'empathie pour lui ? Autrement dit, la caméra subjective (un dispositif conçu pour susciter une "identification primaire": voir le cours sur cette notion) est-elle néfaste à l'identification au personnage ("l'identification secondaire") ? On pense à des films comme La Femme défendue, de Philippe Harel — pour qui notre Dodine a écrit un film d'ailleurs ! — tourné à 99% en caméra subjective. Il serait intéressant d'analyser l'empathie dans ce film pour étudier cette question technique bien précise. Je n'ai, pour l'instant, pas d'avis tranché sur le sujet parce que je n'ai jamais développé une fiction à 100% en caméra subjective. Si vous voulez contribuer sur ce sujet, n'hésitez-pas à nous contacter ! :o)
Créativement,
Cédric