Et si nous prenions vraiment la fiction britannique pour modèle pour réorganiser notre fiction TV hexagonale ? La masterclass organisée par The media faculty les 27 et 28 mars dernier à Paris nous permet de vous faire un point sur le système de production de fictions de la BBC dont les réussites donnent matière à repenser notre façon de faire nos propres séries télé.
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Et si nous prenions vraiment la fiction britannique pour modèle pour réorganiser notre fiction TV hexagonale ? La masterclass organisée par The media faculty les 27 et 28 mars dernier à Paris nous permet de vous faire un point sur le système de production de fictions de la BBC dont les réussites donnent matière à repenser notre façon de faire nos propres séries télé.
The commissionning system : un modèle économique vertueux de production de fiction TV ?
Alors que la BBC est très excédentairement rentable (dégageant avec sa fiction des centaines de millions d’euros de bénéfices à l’export tout en engrangeant de fortes audiences au niveau national et international), FTV enchaîne les contre performances et n’arrive pas à boucler les fins de mois malgré le maintien de la publicité. Comment expliquer nos contre-performances ?
- Une place de leader sur le marché local
- La fiction de la BBC, c’est plus de 650 heures de fictions par an, pour un investissement de 387 millions d’euros. 200 millions de livres sont réservés au drama (genre roi) pour 450 heures de fiction à l’année. Inutile de rappeler que la BBC est essentiellement financée par la redevance.
- En comparaison, France Télévisions, c’est un budget total de 250 M€ pour presque 430 heures de fiction produites par an en 2012. Entre les deux, malgré une supériorité de la BBC en termes de budget, les différences principales résultent surtout du modèle économique de production qui fait de l’une, une chaîne leader sur son marché national et de l’autre, un groupe public à la traîne.
En 2013, BBC 1 est la première chaîne du Royaume Uni avec une part de marché d’environ 21%, stable malgré la multiplication des chaînes concurrentes. BBC 2, la deuxième chaîne du groupe culmine à 7%. Seule ITV, a réussi à prendre une place significative avec une part de marché annuelle à près de 15%. De son côté, France Télévisions sombre petit à petit dans le fond de nos classements. France 2 ne cesse de perdre son audience avec une part de marché annuelle moyenne à 14% tandis que France 3 est passée dérrière M6 à environ 9%.
- Une part importante de la production de la BBC est faite en interne
- 50% de la grille de la BBC est produite en propre grâce à des In house productions. Ces maisons de productions dédiées ont un contrat strict avec la chaîne publique et elles n’ont pas le droit de proposer leurs idées à d’autres chaînes. En contre-partie, elles sont assurées d’un flux de production. Ce sont des producteurs salariés.
- Le reste est produit par des producteurs indépendants, qui font parfois partie de groupes audiovisuels plus importants.
- La BBC assume 100% des développements
En effet, dès qu’un développement est engagé, 25% du budget est garanti puis, si le projet passe ses premières validations, une autre tranche de 25% est débloquée et ainsi de suite.Pour rappel, en France, le diffuseur n’accepte facialement de s’engager que sur 50% du budget d’écriture, ce qui nivelle de fait les montants alloués à cette phase essentielle. C’est la raison pour laquelle un producteur français n’ira jamais au-delà du plafond fixé par la chaîne et s’arrangera toujours pour récupérer sa mise sur le budget global de production, l’investissement dans l’écriture n’étant jamais rentable pour lui.
- Les décisions de mise en production sont prises suite à la lecture de la continuité dialoguée
- Il faut au moins deux épisodes dialogués pour valider la mise en production d’une série TV à la BBC.
- Pour les comédies, la lecture se fait directement avec les acteurs en table read, processus que j’avais commenté précédemment (la lecture du scénario, une étape négligée en France).
- La BBC finance plus de programmes originaux que FTV grâce aux bénéfices récoltés à l’export
La série prestige Sherlock a été vendue sur 234 territoires. Elle a reçu plus de 40 awards à travers le monde, c’est aujourd’hui le plus gros hit de la BBC en termes de revenus alors qu’il n’y a que quelques épisodes de 90′ par an et que se sont passés 18 mois entre la première et la seconde saison…
Au total, un quart du chiffre d’affaires de la BBC est fournie par sa filiale en charge des activités de vente de programmes dans le monde, ce qui représente plus d’un milliard d’euros dont plus de 300 millions d’excedent reversés directement à la maison mère.
En comparaison, pour FTV en 2011, ce chiffre d’affaires représente environ 50 millions d’euros mais il ne suffit pas à couvrir l’exploitation de la filiale. FTV ne dispose donc d’aucun revenu sur ses ventes à l’export.La BBC exporte ses séries avec un système original : dramas, light crimes, dark crimes, fantasy dramas, sont remontés pour atteindre l’international. Par exemple, la nouvelle adaptation de War & peace prévue par la BBC en 2015 avec Andrew Davies à l’écriture est conçue comme un 6 x 60′ pour BBC 1 et comme un 8 x 45′ pour l’export.
- Une grille fiction flexible et diverse
Le nombre d’épisode n’est jamais fixé à l’avance, il dépend de chaque projet. Il n’y a pas non plus de journée dédiée à des genres particulier, le samedi est plutôt drama, mais rien n’est gravé dans le marbre. Pour chaque projet, les programmateurs choisissent le meilleur horaire. Le public est ainsi habitué à cette flexibilité.Pour Sherlock, le premier épisode était un mercredi, le second un samedi sans que cela pose de problème ou affecte les audiences.
Je vous renvoie également à l’excellente étude menée par M. Raynaud sur la diversité de la fiction britannique qui compare les programmations des chaînes françaises et anglaises. A budgets plus ou moins équivalents, la fiction britannique est cent fois plus diverse, créative, et donc rentable que sa consœur française.
- Des coûts de production maîtrisés
- 800 000 livres (environ 1 M€) ont suffit pour financer le pilote de Sherlock (90 minutes). Sur ITV (la première chaîne privée concurrente), M. Selfridge (tournée en studio) coute 1,5 millions de livres (1,8 M€) et Downton Abbey, à peine un million par épisode.
- En comparaison, le coût horaire moyen d’une heure de fiction sur France 2 est de 1,1 M€ et de 0,8M€ sur France 3 en 2012, soit un taux moyen à 0,7 M€. Ce même coût est estimé à 0,6M€ l’heure de fiction sur BBC. Ce n’est donc pas une question d’argent.
- Avec des ressources équivalentes, la BBC et FTV ont un parcours de réussite diamètralement opposé. Tandis que l’une produit une fiction reconnue à l’international et valorisée au point d’être accusée régulièrement de profiter de sa position monopolistique, l’autre subit une crise interne de financement, d’investissement et de politique éditoriale telle que l’Etat est obligé d’intervenir et que le CSA émet des doutes sur sa capacité à remplir son contrat d’objectif et de moyen.
Sur Sherlock, saison 1, 80% du budget a ainsi été financé par la BBC. Aujourd’hui avec le succès, un épisode coûte presque 2 millions de livres mais la vente du programme à l’export a permis de faire baisser la facture pour la BBC. La Saison 3 n’a été financée qu’à 60% par la chaîne publique, le reste étant complété par les residual fees venus de l’export. La chaîne a d’ailleurs signé en blanc (sans synopsis) pour deux saisons supplémentaires.
- Le développement des coproductions
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la BBC ne cherche pas forcément à faire des coproductions pour faire des coproductions, ce type de montage doit avoir un sens : soit parce que c’est tourné dans le pays, soit parce qu’il y a un auteur anglais, soit parce que l’histoire a un potentiel à l’international, etc.
France TV est encore très timide sur ses coproductions : Death in Paradise a été coproduit avec la BBC. D’autres projets sont évoqués (cf. un billet précédent sur l’essor des coproductions en France), mais ils sont loin d’être un nouveau modèle de production. ARTE est bien plus dynamique avec une petite dizaine de projets en cours.Starz et BBC worlwide ont par exemple coproduit Da Vinci demons avec Starz en producteur leader sur la série. De même, BBC worldwide vient de signer une coproduction avec les Espagnols, sur une idée qui vient de l’Espagne et un tournage en langue anglaise.
- Réseaux sociaux et nouvelles technologies sont devenus des moyens naturels de promotion
La technologie change les modes de diffusion : la TV de rattrapage devient la norme, de nouveaux opérateurs sont présents comme Netflix, Amazon, Hulu, qui créent eux-mêmes plus d’opportunités. La BBC vend désormais directement à Netflix US et n’hésite pas à faire des partenariats avec l’ensemble de ces nouveaux acteurs.- Un partenariat est déjà signé avec Hulu pour promouvoir 2000 programmes de son catalogue.
- La BBC s’est engagée sur le développement de séries originales comme The wrong mans avec Hulu.
- Elle vient de signer un drama intitulé Ripper street avec Amazon.
Sherlock est passé de 9,5 à 13M de vues sur une semaine entre le premier et le second episode sur Netflix. Le making of et les jeux internet intéractifs sont directement planifiés pendant le tournage de la saison. L’application Internet de la série a été sous-traitée à Budget Factory pour un budget de plus de 100 000 livres.
- The writing system de la BBC
Affichée comme une ambition première, la BBC privilégie la vision d’auteur. La chaîne a d’ailleurs investi dans sa writers room pour recruter de nouveaux talents. C’est comme si France TV avait elle-même développé un fonds d’aide à l’innovation.- Pour autant, en Angleterre, les auteurs sont aussi peu protégés qu’en France. Ils ont bien une guilde mais cette dernière n’est pas obligatoire pour travailler (elle n’a donc aucune efficacité réelle).
- Comme en France, les auteurs négocient un minimum term, c’est-à-dire un forfait donné pour écrire, les autres revenus étant hypothétiques.
- Comme en France, il n’y a pas d’atelier d’écriture. Broachurch, produite par ITV est écrite par un seul auteur, Sherlock, série produite par la BBC est écrite par 3 auteurs qui écrivent chacun un épisode de 90 minutes par an.
- Comme en France, la chaîne produit des notes à la lecture des scénarios mais les auteurs sont plus ou moins libres de les accepter. Bien évidemment, plus l’auteur est reconnu, moins il y a de notes. Une négociation est toujours possible.
- La vraie différence avec la France est la confiance donnée par la chaîne aux auteurs : qu’il soit débutant ou expérimenté, la BBC cherche avant tout à développer des séries d’auteur. Ces derniers sont d’ailleurs investis tout au long du processus de production. Steven Moffat et Marc Gattis sont les producteurs executifs de leurs shows, tout comme Andrew Davies sur War & Peace, tout comme Timothy Prager sur Silent witness.
Le premier pilote de Sherlock, réalisé en 60 minutes avait été montré à un panel de spectateurs qui avait donné des résultats interessants. Steven Moffat, auteur de l’épisode, en avait retenu les leçons et avait ajouté les personnages de Moriarty et de Mycroft, attendus par le public qui souhaitait également que la police ait l’air plus stupide. Il n’a pas tenu compte d’autres remarques qui ne lui avaient pas paru aussi pertinentes.
Afin de valider complètement le nouvel épisode dans sa version 90 minutes, une lecture avec les acteurs et la BBC avait été organisée.
La diffusion de l’épisode en 2010 avait permis à la chaîne de séduire plus de 9 millions de téléspectateurs et d’engendrer beaucoup de bouche à oreilles.
Remarque : beaucoup de cadres de la BBC sont d’anciens producteurs qui comprennent bien les problèmes inhérents à la production de fiction TV, ce qui n’est pas forcément le cas chez France Télévisions, où les carrières des dirigeants sont souvent construites en interne ou autour du service public.
Bref, s’il ne fallait retenir qu’une chose sur la BBC : c’est que contrairement à notre groupe public, la chaîne anglaise sait marier les impératifs commerciaux à une éthique éditoriale et à une exigence qualitative forte.
Deux fois plus de nouveautés qu’en France, inclusion systématique des nouvelles technologies, construction de véritables stratégies de vente pour l’export, la télévision publique anglaise dispose d’un savoir faire qui lui permet de saisir des opportunités pour produire des séries à gros budget capables de concurrencer l’industrie américaine tout autant que des shows à petits nombres d’épisodes pour son marché local et valorisés comme tel, qu’elle exporte également à l’international.
Un modèle à suivre. Qu’en pensez-vous ?
PS. C’est le sens d’un rapport du Sénat qui posait directement la question : la BBC, modèle à suivre ou simple source d’inspiration pour notre audiovisuel public ?
High concept remercie The Media Faculty et vous encourage d’ailleurs à vous inscrire à sa prochaine masterclass : écrire des films et séries d’animation où nous serons présents.
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