Difficile de lancer un tournage sans avoir lu et relu un scénario avec la production et l'équipe artistique… C'est pourtant ce qui se passe majoritairement en France en audiovisuel.
5 MIN. DE LECTURE
Chez nous l’équipe artistique n’a pas souvent l’occasion de tester en lecture ce qui va être tourné tandis que cette pratique est courante aux US et dans d’autres pays. Faire lire un scénario aux acteurs avant le tournage, c’est s’assurer un premier élément de jugement sur ce que va donner la production. Pourquoi se priver alors de cet outil incontournable ? Décryptage.
Peu de lectures pour la fiction TV française, pourquoi ?
En France, les lectures organisées avec les comédiens sont souvent faites au théâtre, au cinéma et plus rarement en télévision. C’est dommage, elles seules permettent pourtant de se rendre véritablement compte de l’efficacité d’un scénario. Aux États-Unis, les « table-read » sont monnaies courantes, parce qu’exigées par les producteurs qui veulent voir sur pièce, ce qu’ils ont payé et ce à quoi ils doivent s’attendre.
En France, les lectures sont demandées surtout par les comédiens, le réalisateur et le scénariste, rarement par le producteur qui n’a plus besoin de se rassurer une fois qu’il a levé les fonds…
Nous voyons bien encore une fois la différence entre nos deux systèmes de production.
- D’un côté, le système de production US exige des producteurs qu’ils mettent de leur poche au moins 50% du devis, ces derniers sont donc particulièrement vigilants au produit sur lequel ils investissent, il faut qu’il soit le plus viable, le plus performant possible, pour qu’il soit à terme le plus rentable possible surtout dans un univers très concurrentiel (je n’y reviens pas, pour tout savoir du marché US de l’écriture de série, notre masterclass qui vous apprend à créer une série comme aux US et qui compare le modèle économique de la fiction US avec le modèle français).
- Un producteur de fiction française lève et fédère un plan de financement sur la base d’un scénario, également de son savoir-faire et du casting qu’il envisage. Une fois qu’il a fini son tour de table, il sait quel est son budget. Le but est ensuite de faire le film ou la série avec ce budget dans lequel il est censé injecter de sa poche 10% de la facture.En réalité, ces 10% ne sont quasiment jamais mis, le producteur fait son film avec l’apport du CNC (10% du budget), la ou les chaînes de TV qu’il a réussies à convaincre de pré-acheter (qui financent presque 80 à 90% du budget) et en complément quelques SOFICAS pour les derniers pour cents manquants.
Dans ces conditions, une fois le budget levé et le projet en production, le rôle du producteur est essentiellement de veiller à ne pas dépasser son budget pour garantir sa marge, d’où parfois un désintérêt total sur la qualité intrinsèque de ce qu’il a réussi à financer. Peu importe le succès en salle ou en audiences, son risque est déjà amorti. Pas besoin, donc, de faire de lectures…
Pour tout scénariste et même pour tout réalisateur, ces lectures sont pourtant fondamentales : l’écriture est au départ un exercice solitaire où la seule voix qu’entend l’auteur dans sa tête est la sienne. Tous les personnages utilisent ses modes d’expression, son ton, son rythme. Pour aboutir à une forme finale, il est ainsi fondamentale d’organiser une lecture avec les comédiens qui outre leurs voix, incarnent les indications de narration et de mise en scène.
Les lectures avec les comédiens sont utiles à tous les stades de production
- Au début d’un projet, une lecture peut assurer qu’une scène marche réellement.
- Elle peut aussi très vite exposer les failles d’une séquence, tant sur les dialogues eux-mêmes que sur les didascalies et indications de jeu.
- Elle peut aussi permettre à l’auteur de résoudre un point qui lui pose problème.
- À un stade précoce de développement aux US, il est ainsi courant de faire appel à des acteurs (de façon non rémunérée). En France, cela n’arrive jamais, sauf si vous avez des amis acteurs qui acceptent de vous dépanner.
- Quand un projet est dans une phase avancée de préparation, les lectures deviennent un moyen d’aider l’équipe à créer une dynamique de groupe.
- Elles génèrent des remarques et des corrections pour l’auteur tout en fédérant le casting. C’est très courant au théâtre, moins au cinéma et encore moins fréquent en télévision.
- Aux US, c’est souvent d’ailleurs la première étape de production une fois que le casting a été finalisé.
- Bien évidemment, les acteurs se prêtent volontiers au jeu car ils ont beaucoup à gagner : ils font connaissance ensemble, n’ont pas à y mettre trop d’intention et permettent de rassurer tout le monde. Les lectures ne sont pas l’endroit pour essayer des nouvelles choses ou changer les personnages.
Les lectures peuvent également donner lieu à de véritables désastres
L’expérience de Justin Halpern, un scénariste connu à Hollywood (cf. La pire séance de lecture qui me soit jamais arrivée) est à ce titre révélatrice de tous les désavantages que peut apporter une lecture avec les comédiens devant la production (et la chaîne), ceci expliquant aussi pourquoi en France, on préfère parfois les éviter.
Voici une liste de tout ce que peut générer une mauvaise séance de lecture :
- Lors d’une lecture, le représentant de la chaine de TV et/ou le producteur qui a acheté les droits du film ou de la série peut réaliser que ce qu’il a acheté ne convient en fait pas du tout à sa ligne éditoriale. Il y a ainsi une grande différence entre apprécier un scénario pour soi-même et représenter un groupe ou un collectif. Le résultat le plus probable d’une lecture dans ce cadre est un renoncement au projet.
- Une mauvaise lecture révèle également facilement les points faibles d’un projet. Si le concept de départ n’est pas assez lisible, ne raconte rien d’original, au bout de quelques pages, il peut complètement s’effondrer. La lecture devient alors un supplice qui met en lumière tout ce qui ne va pas sans donner aucune direction pour améliorer le projet. Tout le monde réalise alors que le bateau va couler, ce qui peut être vraiment démotivant si le stade de production est avancé. Un renoncement de certains acteurs, ou du reste de l’équipe est ainsi toujours une possibilité sans parler du ou des auteurs qui doivent en peu de temps reprendre l’ensemble de leur projet avec de grandes chances de ne pas y réussir.
- De même, si le scénario n’est pas assez bon ou si l’auteur n’a pas eu assez de temps pour y travailler, c’est aussi une catastrophe prévisible pour lui. Faire lire un mauvais scénario, c’est donc non seulement courir un risque de se faire humilier devant un grand nombre de gens, mais aussi ruiner ses chances sur la suite d’un projet.
En comédie, si personne ne s’attend à lire le scénario parfait, une bonne lecture doit générer des rires sur au moins 60% des vannes. Le silence est ainsi le pire ennemi, c’est également la raison pour laquelle, aux US, les auteurs ont tendance à surcharger leur scénario de vannes pour s’assurer d’un minimum de rires. Peut-être une bonne attitude à copier en France ?
- Enfin, faire lire un scénario avec des gens qui ne jouent pas le jeu, c’est s’exposer à de nombreuses critiques subjectives (parfois totalement injustes ou erronées) qui vont avoir comme conséquences de générer beaucoup de remarques et donc beaucoup de réécriture potentielle, ce qui explique également que certains auteurs préfèrent y renoncer.
Nous verrons dans un prochain billet, quelques exemples de lectures réussies et plus précisément ce à quoi elles doivent servir pour les scénaristes. Mais dès aujourd’hui, n’hésitez pas à partager avec nous vos expériences ratées ou réussies de lecture.
Anonyme
Françoise Fabian, invitée d'Entrée libre sur la 5 Samedi 18 Janvier, a donné un témoignage assez étonnant.
Lorsqu'elle participait à un film ,malgré la demande du metteur en scène, elle ne lisait pas le scénario mais demandait à ses partenaires de lui raconter l'histoire car le fait de lire des dialogues n'était pas parlant (un comble) pour elle.
J'ai été fort surpris de cette remarque mais il faut aussi admettre qu'une bonne lecture peut ne pas avoir l'effet escompté.
Amicalement.
Eric
Fabrice O.
J'ai l'impression qu'une lecture avec des comédiens doit s'inscrire dans une vraie logique de qualité. Le producteur sait à quel point l'étape de l'écriture est primordiale. Donc il donne le temps et les moyens au(x) scénariste(s) d'écrire le meilleur script possible. Ainsi la lecture n'est pas une catastrophe pour le ou les auteurs.
"Caroline Proust, alias le capitaine Berthaud dans la série policière Engrenages (Canal +), est arrivée un jour sur le tournage avec son texte en main. Parmi ses répliques, elle était censée dire:
«Arrêtez vos salades commissaire.»
«Non mais vraiment, "arrêtez vos salades commissaire"! J’ai dit au réalisateur: "on change, là c’est pas possible"», confie-t-elle. «Il m’a demandé ce que je voulais dire à la place. Je voulais dire "Ta gueule". Ce n’est pas possible de bien jouer sur une réplique qui dit "arrêtez vos salades".»
Derrière cette anecdote, une petite partie des problèmes des séries françaises. Si la phrase est si mauvaise, pourquoi le réalisateur ou les comédiens n’avaient-ils pas eu l’occasion d’en discuter avec le scénariste? Pourquoi Caroline Proust s’est-elle retrouvée à changer une réplique au moment même du tournage?" C'est l'intro d'un article de Slate intitulé "Le scénario de la Femis pour sauver les séries françaises." Pour moi cet article met essentiellement la faute sur le dos des scénaristes mais pour le coup si la prod avait organisée une lecture la comédienne aurait pu faire part de ses doutes aux auteurs. Je connais une comédienne qui a joué dans la série les Bleus et qui me disait que sur le tournage, les comédiens et le réalisateurs ne se gênaient pas pour changer les dialogues qu'ils jugeaient mauvais. Pensent-ils aux scénaristes ? Ces mêmes scénaristes sont ils content qu'on modifie à loisir leurs textes sans leur avis ?
Un des bienfaits des lectures serait de faire rencontrer deux mondes; celui de l'écriture et du jeu. Il me semble que ce serait le lieu et le moment pour comprendre les contraintes de chacun et de pouvoir s'adapter pour travailler en équipe.
Ecrit comme tel, ça sonne comme un vœux pieux.
High concept
@Fabrice: merci pour cet éclairage pertinent. La lecture est à mon avis aussi et surtout le moment de tester le texte avec les acteurs, quitte à devoir réécrire ensuite. Comme en France, ce travail n'est pas assez rémunéré (l'ensemble des réécritures successives faisant partie du forfait global d'écriture qui est lui-même sous-évalué la plupart du temps par rapport au budget du projet), on comprend que ce moment n'ait pas encore été gravé dans le marbre comme faisant partie intégrante du processus de production. Un combat à rajouter pour les auteurs au moment de la négociation de leur contrat…
Fred Mamiah
La lecture est effectivement un atout clé pour la crédibilité du rôle des acteurs mais aussi des scénaristes. Il est important en effet que les deux mondes se croisent pour juger de la pertinence des mots vis à vis du ressenti de ceux qui vont jouer la scène. Comment les acteurs perçoivent t’ils tel ou tel phrase à un moment de l’action? Pour eux les dialogues, s’illustrent t’ils dans leurs jeu de rôle? Et les auteurs, au regard de l’interprétation des mots vis à vis de la scène, quelles commentaires ou postures peuvent t-ils avoir sur la qualité du scénario? Le juge t-il bon, mauvais? Pour toutes ces raisons, la lecture reste un pilier fondamental dans le processus de production.