Quand une analyse comparée de la structure dramatique des deux derniers Astérix (Le domaine des Dieux / Le secret de la potion magique), nous amène à formuler une critique constructive de la narration.
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Nous sommes en 2018 après Jésus-Christ.
Toute la Gaule est conquise par les nouvelles aventures d’Astérix… Toute ? Non !
Un irréductible scénariste résiste encore et toujours à cette clameur. Moi !
Pourquoi je m’ennuie ferme devant Le secret de la potion magique ?
Alors que je me suis éclaté avec Le Domaine des Dieux quatre ans plus tôt ?
Face au succès du premier opus, presque trois millions de spectateurs en France pour un budget de trente-et-un millions d’euros, il est logique que l’aventure ait été reconduite.
Et l’exploit est encore au rendez-vous avec presque quatre millions de spectateur, pour un budget équivalent et une recette aux ingrédients similaires :
- Mêmes réalisateurs aux manettes : Alexandre Astier et Louis Clichy.
- Mêmes personnages présents : des gaulois résistants.
- Même arène représentée : la Gaule en 50 avant Jésus-Christ.
- Même enjeu : toute la Gaule risquera d’être conquise.
Alors pourquoi, par Toutatis, pourquoi en bon gaulois que je suis, je me mets à râler ?
Un problème de déclencheur
Quand César, un empereur belliqueux, constate qu’il n’arrive pas à conquérir toute la Gaule par la force, il décide d’amener la culture romaine aux portes du village d’Astérix.
Le Domaine des Dieux
Quand Panoramix, un druide sage, clé de l’invincibilité du village d’Astérix, se foule la cheville en tombant d’un arbre, il décide de partir à la forêt des Carnutes pour trouver un successeur afin de lui transmettre le secret de la potion magique.
Le Secret de la Potion Magique
On voit toute la force d’un déclencheur armé par un antagoniste déterminé dans Le Domaine des Dieux. A contrario, la faiblesse du déclencheur interne du druide est flagrante. Qu’est-ce qui oblige réellement Panoramix à agir ?
Il n’est ni à « l’article de la mort », ni pressé par des romains qui jusqu’à présent se contentent de camper sur leur position.
- Un déclencheur fort doit obliger le héros à agir.
Une tâche floue, une tâche claire
Les choses se compliquent quand, après avoir tenté en vain d’empêcher la construction du complexe hôtelier, Astérix et ses comparses constatent qu’il est déjà occupé par des vacanciers. Or les Gaulois se refusent à taper sur des civils, fussent-ils romains.
Le Domaine des Dieux
Mais comment virer ces intrus qui commencent déjà à mettre à mal leur équilibre en venant faire du shopping au village ?
Panoramix se retrouve en difficulté quand Sulfurix, un druide revanchard, brûle l’intégralité des fiches qui classe tous les apprenti druides. Panoramix est alors obligé d’entamer un voyage au pifomètre pour visiter tous ses potentiels successeurs.
Le Secret de la Potion Magique
Mais sans réel plan d’action, comment va-t-il trouver la perle rare ?
Autant, la tâche du Domaine des Dieux est précise, complexe et pose énormément de conflits différents à tout le village et à Astérix.
Autant, la tâche du Secret de la potion magique est peu efficace. Elle limite rapidement l’originalité des situations et l’on se retrouve avec une succession de pastilles peu conflictuelles.
Les scénaristes s’en aperçoivent d’ailleurs assez vite !
Ils préfèrent nettement s’occuper de l’antagoniste qui accomplit une tâche complexe et machiavélique : retrouver le meilleur apprenti (dont il a subtilisé la fiche), l’amadouer par sa ruse, l’amener à changer son tour de démonstration pour que Panoramix lui révèle le secret de la potion et qu’enfin il lui livre la recette.
En écrivant cela, on voit bien que c’est Sulfurix qui a la tâche la plus intéressante. Elle est réifiée (visible à l’écran), déclinable en sous-tâches complexes et génératrice de conflits.
Et c’est là, mon principal grief à l’égard du deuxième opus d’Alexandre Astier et Louis Clichy.
- Une tâche efficace devrait assurer l’essentiel du récit.
Deux crises bien orchestrées…
Les choses se compliquent quand les romains constatent que les Gaulois les ont bluffé en leur faisant croire qu’ils avaient bu de la potion magique. Tout le village, ainsi qu’Astérix, se retrouve alors en prison sans aucun recours.
Le Domaine des Dieux
C’est la catastrophe quand Sulfurix, battu une première fois par Astérix et Obélix, boit par erreur une potion qui le fait devenir gigantesque. En rage d’avoir échouer à percer le secret de la recette de Panoramix, il entame la destruction du village.
Le Secret de la Potion Magique
…mais un climax décorrélé
Emus par le courage d’Astérix qui refuse de se soumettre à César, tout le village décide de se battre même sans potion magique, uniquement avec leur bravoure. Avec l’aide d’Obélix, ils finissent par gagner.
Le Domaine des Dieux
Ici, la réponse des scénaristes collent à l’ensemble du récit et à l’esprit de ses héros : on se chamaille, mais on se bat ensemble contre l’opresseur.
Devant le désastre, Panoramix a l’idée d’utiliser son sortilège de réorganisation en utilisant un empilement de romains afin de créer un centaure géant dont Obélix sera le fer de lance. Il terrasse Sulfurix.
Le Secret de la Potion Magique
L’essentielle de la crise est gérée par Panoramix qui arrive bien tardivement. Il n’avait donc finalement aucun souci à se faire sur sa succession puisqu’il est si puissant.
Et c’est ainsi qu’avec les mêmes ingrédients, la potion ne prend pas toujours…
Sauf que j’ai omis de vous dévoiler deux ingrédients importants qui ont fait le succès du Domaine des Dieux, selon moi.
Alexandre Astier et Louis Clichy n’étaient pas les seuls aux manettes.
Outre une intrigue originale propre aux créateurs du petit guerrier gaulois, Albert Uderzo et René Gosciny, deux autres noms sont crédités dans la fiche technique du film :
- Jean-Rémy François : un habitué des séries jeunesses, comme Code Lyoko, Lou !
- Philip Lazebnic : un coscénariste de Mulan et du Prince d’Égypte, entre autre !
Je ne sais absolument rien sur la collaboration de ces auteurs.
Mais il y a fort à parier que leur connaissance profonde de la dramaturgie a grandement contribué à la qualité intrinsèque du premier Astérix.
Et s’il n’existe aucune recette magique pour réaliser un succès, une solide expérience des éléments dramaturgiques permet d’assurer un récit de qualité.
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