Et si on avait nous aussi nos showrunners ? Voilà le fantasme des français pour répondre aux maux de notre fiction française. Mais est-ce que ce showrunning US fonctionnerait chez nous...
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La masterclasse organisée par le média Club au printemps dernier à Paris nous permet de faire le point sur cette question. Frédéric Krivine, dit le « chaud-René » de la série Un Village français, pense que la fiction française manque encore d’industrialisation et de savoir-faire pour accueillir de véritables showrunners. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui; il me semble que nous n’avons tout simplement pas besoin de showrunner.
Mise au point sur le showrunner
C’est le patron artistique et économique d’une série télé américaine. Il a des fonctions mais également des compétences et des responsabilités très étendues. Il intervient tout au long du processus de création et de production. Pour en savoir plus, lire notre article « Où sont les showrunners français ? ».
Notre mode de production est différent
Nous ne connaissons pas ce type de showrunner en France car nous ne possédons pas les mêmes modèles économiques de production de série.
En France, l’écriture est disjointe de la fabrication. Notre mode de production TV se partage entre une production, un auteur et un diffuseur tandis qu’un showrunner est un scénariste chevronné qui est le principal interlocuteur du diffuseur; garant de la production comme de la voix de la série, il possède même des compétences en réalisation et en post-production.
L’exemple du « Village français »
Krivine lui-même parle d’un showrunning à trois têtes. Il s’est occupé de l’écriture et de la réécriture des épisodes, Philippe Triboit a défini les choix de mise en scène, l’esthétique et le casting ; enfin Emmanuel Daucé a géré la production. Cette alliance auteurs / producteur leur aurait permis de maintenir le cap face à la chaîne.
Notre culture est différente
Le showrunning ne fait pas partie de notre culture française.
Tout simplement parce que nous n’avons pas de culture sérielle. Je veux dire par là de séries longues. Nous avons plutôt celle de la mini série (même s’il existe, aujourd’hui, une nouvelle génération d’auteurs biberonnée aux séries américaines qui se fait de plus en plus présente).
De plus, nous avons une population vieillissante. La moyenne d’âge des spectateurs de France 2 est de 62 ans contre 64 ans pour France 3 (« Peu d’épisodes de séries sont prévus au départ, de peur que les spectateurs ne décèdent avant la fin » ironise Krivine).
A la différence de la France, les États-Unis vendent leur propre identité culturelle à travers leurs séries. Pourquoi pas nous ?
Un modèle viable pour la France : la BBC
On entend souvent qu’un des maux principaux de notre fiction française est que les volumes de production ne décollent pas. Que nous ne créons pas de série à flux tendu et que nous sommes très loin de l’industrialisation (à l’exception de Plus Belle La Vie).
Lors de ces débats, Krivine espère que la France deviendra une industrie elle aussi, ce qui légitimera l’existence d’un showrunner.
Pourtant la Grande Bretagne, comme la France, produit un faible nombre d’épisodes et ne possède pas non plus d’ateliers d’écriture, mais rien de tout cela ne l’empêche pas de produire des séries de qualité et d’être prisée internationalement !
► Flexibilité et diversité des sujets
En effet la BBC, première chaîne de fiction anglaise, mise sur une grande diversité de la série britannique sur leur grille de diffusion. Il n’existe pas réellement de cases de diffusion fixes et rigides. La flexibilité quant à la programmation audiovisuelle des séries semble être pour eux un véritable atout.
► Mise en avant de l’auteur
En Grande Bretagne comme aux États-Unis, l’auteur n’est pas négligé contrairement à la France. En témoigne l’exemple de la lecture des scénarios avec l’équipe, une pratique quasi inexistante dans notre processus de développement. (Voir notre article sur « La lecture du scénario, une étape négligée en France ».)
Même si elle n’a pas d’ateliers d’écriture, la BBC privilégie la vision d’auteur en investissant pour recruter de nouveaux talents. Une confiance est véritablement donnée aux auteurs.
► Culture du « high concept »
Dire que nous ne parvenons pas à exporter nos séries parce qu’elles sont en langue française est également une mauvaise excuse. Aux États-Unis, toutes les séries étrangères sont doublées et la question de la langue n’a pas empêché les séries danoises et suédoises d’exploser sur le marché.
En France, la culture de l’export est encore un peu timide. Il y a une différence entre les États-Unis et la France, c’est que nous avons une tendance à dissocier le contenu du marketing.
La Grande Bretagne s’en sort parce que ses séries sont reconnues dans le monde par leur créativité. Les anglais vendent leurs séries high concept à l’international et sont également très prisées sur le marché local (pour en savoir plus, visionner notre masterclass vidéo sur l’écriture d’un high concept, notre spécialité chez HC évidemment 🙂 ).
Certes en France, le paysage commence à bouger un peu. Certaines séries sont exportées et diffusées telles quelles et d’autres formats sont adaptés. Nous avons beaucoup entendu parler du Bureau des Légendes.
C’est une bonne chose, mais quid des autres séries ? Ce cas n’est pas du tout représentatif de la majorité de la fiction française. C’est un peu l’arbre qui cache la forêt.
Un problème de confiance
Il existe une véritable aversion au risque des producteurs et diffuseurs français. Depuis des décennies, il y a une concentration du pouvoir entre leurs mains, or ce qu’il ressort des débats, c’est que les diffuseurs prétendent ne pas commander de séries longues parce qu’il n’y a pas d’auteurs pour les écrire. Les chaînes cherchent ainsi avant tout des collections et des bouclés.
Krivine estime quant à lui que le point de vue de l’auteur ne fédère pas assez le public. Aujourd’hui, les audiences sont faites avec des séries non « feuilletonnantes », qui ne proposeraient pas d’addiction forte au public.
Êtes-vous d’accord avec ces visions ?
Ne pourrions-nous pas dire que les chaînes françaises, à l’inverse des chaînes anglaises citées plus tôt, n’ont pas de désir d’ouverture aux nouveaux auteurs ? Certes, il y a des auteurs dans la place, mais ce sont souvent les mêmes qui tournent non ?
Il n’y a pas de réelle volonté d’ouverture et de choix dans le contenu.
Un contre-exemple, celui de la RTBF qui met un point d’honneur à soutenir les productions locales et à mettre en valeur les nouveaux talents belges en lançant régulièrement des appels à projets destinés à la télévision (en plus de la radio et du web). La série Ennemi Public (écrite avec la méthode High concept, cocorico !) sort tout juste de ce sillage et a été un joli succès.
Pour que les choses changent, il faudrait faire davantage de sélection de la fiction en fonction de l’intérêt du public plutôt qu’en fonction du seul intérêt des chaînes.
Où sont les téléspectateurs ? Eh bien ils sont là, mais avec la nouvelle offre offerte par les plateformes telles que Netflix, ils vont voir ailleurs avec une véritable gourmandise…
Cette nouvelle donne, qui annonce la fin d’un cycle, risque de changer bien des choses, en tout cas je l’espère. Est-ce là une possibilité, pour nous auteurs, de pouvoir nous rendre visibles et de trouver notre place en attendant que la politique des chaînes évolue ? L’enjeu pour ces dernières, aujourd’hui, est de récupérer ces spectateurs trentenaires et quarantenaires, pourtant gros consommateurs de fiction qui ne demandent qu’à être considérés.
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