J’ai rencontré mon confrère Hervé Hadmar en 2003, alors que nous étions tous deux membres d’un jury de festival de courts métrages. Il avait déjà écrit et réalisé un premier long (Comme un poisson hors de l’eau, avec Tchéky Karyo) et il préparait son second –sobrement intitulé Julia–, dont il m’adressa amicalement le scénario.
Comme vous le savez, en plus d’en écrire, je lis énormément de scénarios et je ne suis pas facilement impressionnable. Néanmoins, en lisant Julia, j’ai retrouvé la jubilation enfantine que l’on éprouve à la lecture des bons classiques.
Salon des refusés : Julia de Hervé Hadmar, l’exemple du parfait scénario.
Julia, scénario pour un long métrage – écrit par : Hervé Hadmar (co-créateur de la série Pigalle, la nuit) – date du draft : 2003.
Prémisse : film d’évasion à la Shawshank Redemption.
À l’époque, le casting de Hervé était déjà bouclé (je crois me souvenir d’un Gérard Jugnot et de la comédienne de Respiro) et ses repérages étaient achevés (il prévoyait de tourner dans la prison de Catch me if you can). Pourtant, des années plus tard, ce projet remarquable n’a toujours pas vu le jour à ma connaissance. Ce genre de choses arrive malheureusement très souvent, un projet de fiction étant plus fragile qu’une gerbille asthmatique.
C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de créer cette nouvelle rubrique, afin de vous présenter ces films et séries impossibles que vous ne verrez peut-être jamais.
Voici donc un pitch court des premières pages de Julia, tiré de mes notes de lecture (veuillez en excuser le style télégraphique).
Le pitch :
Nous sommes en 1937, sur une route de campagne italienne. PIERRE (33 ans) emmène sa fiancée JULIA en voiture dans un endroit secret. Elle veut savoir ce qu’est sa surprise… et nous aussi. (Mystère)
CUT brutal :
Dans une prison française, Pierre est dans la cellule des nouveaux arrivants. Glauque : une chaise, un lavabo, un seau pour déféquer ou pour vomir, au choix.
Le gardien MOUNIER vient chercher Pierre, qui pleure. Scène de couloir dans laquelle Pierre croise un groupe de détenus. Parmi eux figurent un type au VISAGE D’ANGE qui lui lance un regard vicieux (un futur antagoniste), ainsi que BASTIEN le détenu le plus vieux de la prison (un futur adjuvant).
Dans le bureau du DIRECTEUR, ce dernier est sadique avec Pierre. Il annonce l’enjeu du film : Pierre est ici pour un bout de temps; il finira par perdre jusqu’au souvenir de Julia. L’attitude vache du directeur s’explique juste après : il aimait René, l’homme que Pierre est censé avoir tué !
Flashback : Retour sur Pierre et Julia dans la voiture, en Italie.
Pierre conduit comme un fou. Il veut arriver avant la nuit à sa destination mystérieuse. Des nuages s’amoncellent. La voiture est sous la pluie devant une maison à l’abandon, magnifique et grande. Cette maison, c’est ça le cadeau. Pierre est certain qu’il pourra l’obtenir en proposant un bon prix et il veut offrir à Julia cette maison en bord de mer. Visite romantique, en effraction, dans la maison ; ils font l’amour à même le sol. Julia parle des secrets cachés dans les cheminées italiennes. Que cacherait celle-ci ? demande Pierre. Lui, répond Julia.
Cut directeur : « Apprenez-lui tout de sa nouvelle vie », dit le directeur à Mounier.
Séquence d’arrivée : Pierre est nu, à l’infirmerie, blanche et mal entretenue. Un médecin l’examine. Transition sur une séquence où Pierre est également nu, il regarde ses vêtements, ceux qu’il portait, disparaître les uns après les autres derrière le comptoir. Les prisonniers s’activent pour lui donner ses nouveaux vêtements, la tenue parfaite du détenu. CUT : Pierre porte la tunique dans le couloir. Il se gratte, le tissu est grossier (métaphore visuelle : cette vie n’est pas pour lui).
Transition avec les vêtements parfaitement pliés et lavés du gardien surveillant-chef qui habite à côté et qui vient juste d’être nommé chef. Le CHEF est maître de ce monde, il arrive au réfectoire : plein de détenus, des dizaines de tables des centaines de prisonniers, pour des dizaines de gardiens.
LES PREMIERS OBSTACLES : L’HUMILIATION ET LA LOI DU PLUS FORT
Au menu : de la soupe, mais pas de cuillère pour Pierre (tout le monde en a une à part lui). Le chef lui explique, méprisant, qu’il en aura une après avoir travaillé deux mois en atelier.
Second obstacle pour Pierre : choisir sa table… Pierre en choisit une au hasard et tombe sur un détenu qui lui vend une cuillère contre sa future ration de cigarettes. En guise d’avance, il lui donne la cuillère de son voisin, un petit gros, qui ne bronche pas. C’est la loi du plus fort pour survivre : Pierre n’hésite pas. Il mange. Discussion dans le préau avec un détenu qui marche en rond derrière lui (interrompue à chaque fois qu’ils passent devant le même gardien). Pierre apprend que Bastien connaît toutes les combines d’ici et qu’il ferait mieux de sympathiser avec lui pour survivre. Le soir venu, présentation de sa cellule par le gardien : il a quatre codétenus (dont deux déjà vu). Il y a quatre lits… Ils sont cinq… Le surveillant claque la porte derrière Pierre… Le plus jeune salue Pierre, qui n’hésite pas à prendre son lit. Tout au long de ces petites humiliations, Pierre regarde par la fenêtre pour s’évader.
Flash-back. Dans un resto parisien à la mode, des regards entre Pierre et Julia qui est attablée.
Il attend un coup de téléphone près de la cabine. La tenancière, une amie, le voit dévorer des yeux Julia : « Alors monsieur le marchand de bien, on veut la garder pour soi celle-là ! » Pierre raccroche : il doit partir convaincre René (l’homme qu’il est censé avoir tué) de vendre son appartement. Pierre rentre chez René et trouve le type mort.
Retour :
Le co-détenu à qui il a piqué son lit est sur une chaise, il regarde Pierre. Il pense à sa petite amie, c’est ça ? Les gardiens viennent chercher Pierre en pleine nuit, ses codétenus ont peur pour lui.
Salle de torture : passage à tabac, émulation de groupe organisée par le CHEF. Ils sont résolus à faire la même chose tous les 23 octobre, l’anniversaire de leur collègue mort. Pierre s’évanouit et retrouve Julia dans ses rêves.
FIN DE L’EXPOSITION ET OBJECTIF DE PIERRE
Ellipse. A l’infirmerie, Pierre se rétablit. Bastien va le voir et obtient 5 minutes seul avec lui en échange d’un paquet de cigarettes. Pierre voulait le voir ? Oui, il veut s’évader. Bastien de le dissuader.
Présentation des lieux, sur la voix off de Bastien : c’est une forteresse, à laquelle s’ajoute une incroyable pression psychologique. On voit Pierre évoluer dans son quotidien, se rétablir sur ces images.
Pour finir, Pierre est quasi-rétabli et va retrouver ses amis dans le réfectoire. Le petit gros s’apprête à manger avec les mains, mais un détenu chauve donne une cuillère à Pierre en passant : ayant été tabassé par le surveillant chef que personne n’aime, Pierre va avoir des amis. Une amitié se lie avec Bastien…
Un bel exemple d’exposition de scénario réussie !
J’adore comment Hervé a géré ses flash-backs. Ils ont ceci d’émouvant qu’ils dramatisent la lutte contre l’oubli de Pierre. (L’intrigue du scénario se déroule sur des années). Ils me rappellent ces vieux films au parfum romantique comme Casablanca. Les personnages sont très attachants et l’arrivée du déclencheur de l’intrigue principale se fait sans problème. A partir du moment où l’objectif d’évasion de Pierre est armé (belle idée d’ailleurs, d’attendre cette séquence pour montrer l’extérieur de la prison, sur la voix off de Bastien), je ne décolle plus du script !
Et vous chers lecteurs, seriez-vous allés voir ce film au cinéma ?