Sous le soleil de plomb de La Piscine, de Plein Soleil ou même de L’Étranger de Camus, Pierre Niney incarne Un Homme idéal.
Écrit par Guillaume Lemans, Grégoire Vigneron et Yann Gozlan qui réalise. Plutôt bien bâti, le scénario tire sa tension de l’engrenage criminel dans lequel le protagoniste s’empêtre. Retours sur quelques éléments dramaturgiques pour mieux comprendre la structure de cette spirale infernale.
Attention, spoilers !
Synopsis : Le film s’ouvre sur un flash-forward : un homme à bout de nerfs au volant d’une voiture fonce volontairement dans un mur. Puis nous voilà dans la routine d’un jeune déménageur payé à la tâche, le conducteur du flash-forward, MATHIEU VASSEUR, ambitieux écrivain qui tente en vain de faire publier son premier roman. Quand pendant un déménagement il tombe sur les mémoires de guerre d’un vétéran d’Algérie qui vient de mourir dans la plus grande solitude, il décide d’embarquer le manuscrit. Démotivé par un énième refus de son roman, lui vient alors l’idée d’usurper le texte trouvé : il le renomme Sable noir, le signe de son nom et l’envoie à un éditeur. Rappelé sans délai, Mathieu élabore son mensonge et travaille son rôle d’auteur par plusieurs mises en scène avant ce premier rendez-vous. Lauréat d’un prestigieux prix littéraire, il rencontre alors un triomphe phénoménal et l’amour de sa vie, ALICE FURSAC, une brillante universitaire bien née, à qui il cache son secret.
Trois ans plus tard, Mathieu et Alice séjournent dans la magnifique villa des parents de celle-ci. Il dissimule tout des dettes qui l’accablent et de son incapacité à écrire le second roman que son éditeur lui exige sous menace de l’envoyer au tribunal. Dos au mur, pour gagner du temps, Mathieu manigance un faux car-jacking en se blessant volontairement, détruisant son ordi et mentant impunément à Alice et à la police. C’est alors que surgit VINCENT, un dangereux maître-chanteur proche du véritable auteur de Sable noir, qui lui réclame 5000 euros pour ne pas éventer son secret. Acculé, Mathieu vole la collection d’armes du père d’Alice pour payer son corbeau et manœuvre pour faire croire à un cambrioleur. Mais un ami des Fursac en visite trouve le larcin dans sa chambre : une bagarre éclate et Mathieu tue l’ami sans le vouloir. Il va aller jeter le corps à la mer en se soustrayant aux regards de la famille, maquiller le « départ » précipité de l’ami et remettre les armes au menaçant Vincent. Inquiète, Alice veut savoir ce que cache Mathieu et lui apprend qu’elle est enceinte. Incapable de lui révéler les crimes qu’il a maquillés, transi par tous ces événements, Mathieu tient enfin son prochain roman qu’il rédige frénétiquement : Faux-Semblants.
Les choses se compliquent quand la police repêche le corps de l’ami avec de l’ADN du meurtrier. Vincent qui l’a vu se débarrasser du corps saisit l’occasion pour lui réclamer plus d’argent. Mathieu pris au piège propose au maître-chanteur de « visiter » l’appartement parisien des Fursac qui partent à Londres soutenir la famille de leur défunt ami. Pour se soustraire au prélèvement ADN immédiat, Mathieu propose de remonter leur voiture et confie à Alice son manuscrit achevé de Faux-Semblants. On le voit glisser une pièce dans le clic de la ceinture passager de la voiture de son beau-père et y faire monter le corbeau qui croit partir à Paris. Mathieu détourne son attention en faisant miroiter le butin et fonce dans un mur : le maître-chanteur meurt sur le coup. Mathieu sonné mais sauf porte le corps de Vincent côté conducteur, il lui met sa montre et laisse son téléphone puis brûle la voiture. Plus tard, dans un hôtel, il apprend sa mort aux informations.
Deux ans après, redevenu déménageur, il remarque en vitrine d’une librairie Faux-Semblants et y voit Alice avec son enfant fêtant la sortie du livre. Il hésite un instant, se ravise et part.
Le protagoniste
Mathieu est caractérisé de manière efficace. Les séquences initiales montre que sa vie transparente de manutentionnaire trouve son échappatoire dans l’écriture de son premier roman. Tout entier mobilisé pour s’extraire de cette condition anonyme et modeste, Mathieu au début du film ne cherche qu’à s’améliorer et va jusqu’à rappeler les éditeurs qui l’éconduisent pour comprendre là où il peut progresser. L’empathie du spectateur naît ainsi aisément de cet acharnement et ce labeur sincères.
Une fois décroché, pour préparer son entretien avec l’éditeur, Mathieu, bon élève, au-delà de bûcher la guerre d’Algérie, décortique les interviews des auteurs de renom et s’évertue à s’approprier leurs réparties les plus pertinentes. Sa compétence de menteur-usurpateur est ainsi judicieusement placée.
Et la rencontre avec sa future fiancée lors du cocktail autour de la sortie de son livre trahit un trait de Mathieu avec un clin d’œil prémonitoire : il se retrouve à lui laisser croire malgré lui qu’il est un autre (elle le prend pour un vil pique-assiette) et on le voit gêné d’être pris pour un autre, ne sachant comment la désabuser, mais sortant finalement avec une éloquence séductrice de son silence. Première occurrence d’un silence qui ne fera que s’agrandir.
Le « Un » : le déclencheur
Le succès tant rêvé, dont ce cocktail de sortie est la parfaite métonymie, est un pivot majeur du scénario. Il dépasse ses espérances et donne une toute autre dimension à son usurpation. Il ment à la face du monde et ne peut absolument pas être découvert dans son imposture. L’enjeu est simple : si son imposture est découverte, il perd le prestige social tant convoité et fraîchement acquis, et également celle qu’il vient de conquérir et qu’il aime. Alice, de par son milieu, sa famille incarne à la fois l’enjeu de réussite sociale et de bonheur amoureux et constitue son premier antagoniste. C’est à elle en premier que Mathieu ment. L’objectif conscient de Mathieu est clair et réifié : il ne doit pas être découvert.
Le « Deux » : la tâche
L’épais silence dans lequel Mathieu se tient va au-delà d’une simple stratégie d’évitement : il est bien l’auteur et l’acteur de son mensonge. Mentir par le biais de mises en scène complexes pour amener les autres à concevoir la situation telle qu’il souhaiterait qu’elle soit perçue, voilà la tâche de Mathieu pour ne pas se faire prendre. Son mensonge initial et son incapacité à le révéler engendrent de terribles conséquences et le scénario en détaillant le déroulé précis de ce mécanisme renforce la spirale infernale dans laquelle se retrouve projeter le protagoniste. Ainsi, sa conversation quotidienne prise dans le rets du mensonge, Mathieu se retrouve à manipuler à tout va sa fiancée et sa famille par des mises en scène cyniques. Par exemple, pour noyer tout soupçon, il va signer d’un autre nom son premier roman et faussement le ranger de manière assez visible pour éveiller la curiosité d’Alice, admirative de son talent et prompte à vouloir l’aider. Celle-ci pense agir de son chef quand elle lui propose de lire le manuscrit pour le soulager dans son travail. Et lui obtient ainsi son avis sur son premier texte. Orchestrées selon un subtil crescendo, ces séquences montrent que, sous ses airs réservés, Mathieu s’enfonce dans le silence et l’impossibilité d’avouer la vérité. Il va donc taire ses problèmes d’argent, d’écriture, mettre en scène un faux car-jacking puis un cambriolage pour dérober la collection d’armes de son beau-père afin de monnayer le silence de son corbeau. Le butin découvert par l’ami de la famille d’Alice, Mathieu va alors le tuer accidentellement et devoir se débarrasser du corps, au nez et à la barbe de tous. Et pour cacher ce meurtre, tuer encore.
La menace antagoniste que constituent Alice et sa famille est intensifiée par l’arrivée du maître-chanteur Vincent. Vincent active très franchement le danger, crée un conflit fort qui met en péril l’objectif et déstabilise profondément Mathieu. Il ne peut plus faire marche-arrière. Le maître-chanteur est le ressort dramaturgique qui transforme le mécanisme mensonger en engrenage criminel.
Cependant, et c’est le gros écueil du scénario, l’antagoniste est trop peu développé pour être crédible dans son pouvoir de nuisance. Mathieu ne cherche pas à savoir si le Corbeau détient une quelconque preuve accablante qui pourrait faire éclater au grand jour la vérité. Il répond très hâtivement à ses exigences. Il ne lui demande rien qui puisse lui assurer que le maître-chanteur respectera le deal. De fait, le pouvoir antagoniste du corbeau en ressort diminué. Le « méchant » n’est juste qu’un mec hyper intimidant. C’est peu pour le spectateur. En outre, celui-ci semble omniscient, omnipotent. Le spectateur doit combler seul les trous de narration et justifier un peu trop de lui-même la plausibilité des infos déconcertantes que celui-ci détient. Le scénario en pâtit nécessairement, dommage !
Le « trois » : le climax
Obligé de fuir car le corps de celui qu’il a tué a été retrouvé et peut l’identifier, Mathieu trouve un subterfuge radical. Il se met en danger de mort pour tuer son ennemi et mettre fin à toute cette fausse vie. Il met aussi en scène sa propre fin, ou plutôt celle de l’écrivain à succès qu’il était devenu. Mort consacrée par la sortie du second livre de cet ectoplasme, célébrée par sa veuve et son orphelin. Cette résolution souffre malheureusement de quelques raccourcis (l’enquête pour le meurtre de l’ami, l’identification du corps de l’accident de la route peuvent lever des questions de crédibilité). Toutefois, elle livre une trajectoire riche pour son protagoniste et un récit troublant pour son spectateur.
Pour en savoir plus sur l’écriture du genre Crime, nous vous invitons à consulter notre masterclass vidéo dédiée au Policier et à ses trois sous-genres. A bientôt sur le blog !