Le CSA vient de sortir une étude sectorielle sur la production de fiction aux États-Unis qui nous montre que les différences majeures entre les conditions de production de la fiction américaine et celles de la fiction française ne sont pas forcément uniquement explicables par des différences d’échelles ou de modèle économique, mais surtout, qu’elles résultent d’une différence de modèle culturel.
Si le modèle traditionnel des networks est cependant toujours d’actualité (des chaînes qui dépendent de la publicité majoritairement), il faut aussi compter aujourd’hui avec la concurrence des câblo-opérateurs (télévision par abonnement et télévision câblée avec pub) qui fonctionnent avec un modèle alternatif qui mérite aussi d’être commenté. À ces deux modèles, des nouvelles sources de revenus comme la vidéo à la demande, le téléchargement depuis Internet viennent s’ajouter pour augmenter les recettes globales d’un genre devenu définitivement roi en TV. Il apparaît ainsi que si la situation de la production audiovisuelle aux États-Unis est aujourd’hui dans une phase de transition, cela est notamment dû à l’émergence de ces nouveaux moyens techniques et en particulier numériques (moyens dont la fiction française ne bénéficie pas encore malheureusement).
La TV US est-elle l’avenir de notre propre télévision ?
À l’heure où les chaînes françaises commencent à attaquer le marché international en faisant des coproductions et en délocalisant massivement leurs productions à la recherche d’économies budgétaires, il semble que de nouveaux équilibres se dessinent et que les changements tant attendus se profilent. Mais voyons plus loin.
- Deux modèles concurrents s’opposent aux Etats-Unis :
D’un côté nous avons le modèle des gros networks issus de la Télévision publique qui s’orientent vers une industrie de franchise, de l’autre nous trouvons le modèle des chaînes du câble (payantes), qui au lieu de viser le public le plus large, cible un public précis au moyen d’une programmation spécifique.- Même si les grands networks ont dû s’adapter à la concurrence au fil des années et rechercher des cibles d’audience moins larges, ils essayent tout de même de rester sur des cibles familiales pour en permanence attirer la ménagère et les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, cibles à fort pouvoir d’achat. Comme les coûts de production des séries ont beaucoup augmenté et les recettes de la publicité ont eu tendance à baisser avec l’essor de nouveaux moyens de distribution, ces chaînes ont eu tendance ces derniers temps à se regrouper et à miser aussi sur d’autres types de programmes comme la téléréalité.
- Le câble, lui, repose sur les abonnements et regroupe une audience plus jeune et plus ciblée pour les séries. Dans ces chaînes, on parle d’indice de satisfaction plus que d’audience. Ce sont ces chaînes qui ont été les plus innovantes ces dernières années, HBO et Showtime en tête de file.
- Le phénomène des studios :
En France, il y a deux entités principales dans la fabrication d’une œuvre audiovisuelle : le producteur et le diffuseur. Aux États-Unis, il faut ajouter à ce binôme, le studio. La réglementation a évolué récemment, puisque les diffuseurs US sont autorisés désormais à produire eux-mêmes leurs shows via le studio. En effet, devant la menace principale pesant sur les Networks avec le développement d’Internet et du câble, la FCC a décidé de donner plus de latitude aux entreprises audiovisuelles américaines afin de leur permettre de réagir face à cette diminution de leurs revenus et aux menaces pesant sur leur avenir (c’est ce que demandent aujourd’hui les chaînes françaises et qu’elles ont petitement déjà obtenu avec le grappillage d’un pourcentage de coproduction sur les programmes qu’elles financent pourtant à près de 75%). Aux États-Unis, l’abrogation des fin-syn rules en 1996 a ainsi permis aux Networks de produire ou coproduire une part croissante de leurs émissions. Ils ont pu également acheter ou se faire racheter par des groupes de communication et se rendre acquéreur de nombreuses chaînes câblées ou de continuer d’y investir pour augmenter leur part de marché (cf. ce qui se passe aussi chez nous sur la TNT).- L’intérêt de construire des groupes internationaux de grande dimension permet ainsi une intégration verticale importante : la fabrication de contenus est combinée avec la distribution.
- L’apparition de nouveaux géants dans le secteur, comme le rachat de ABC par Disney permet surtout de réduire les coûts de programmation en bénéficiant de productions maison (à tire de comparaison, TF1 le fait sur une plus petite échelle avec TF1 production par exemple mais le phénomène est loin d’être généralisé malgré une concentration en cours du secteur de la production).
- Ces opérations offrent notamment au distributeur l’accès direct à des stocks de programmes considérables. Ces nouveaux groupes permettent aussi d’augmenter leurs recettes publicitaires, avec une offre plus importante dans plusieurs médias et à un prix moindre que la concurrence. Les Networks US se servent aussi du câble comme rampe de lancement de services en ligne qui, à terme, devraient eux aussi générer d’importants investissements publicitaires et, par ailleurs, attirer le public qui justement délaisse la télévision « classique ».
- Un marché très concurrentiel :
Les Networks ne couvrent que 50% des frais de production d’une série et leur plan de retour sur investissement inclut les ventes à l’export qui ne permettent de dégager de la marge en général qu’à partir de la troisième ou la quatrième saison alors que souvent ils n’attendent pas jusque là pour supprimer un programme. Les séries qui arrivent à durer trois à quatre ans payent donc pour tous les autres échecs.Aux États-Unis, une série sur cinquante (2%), parmi celles dont le pilote a été écrit reste à l’antenne (ce qui remet le chiffre français en perspective où 60% des séries lancées ont une saison 2).
Cependant, les séries US peuvent être très rentables (jusqu’à 200%) en prenant en compte l’export. Les Studios n’hésitent donc pas à investir lourdement car la rentabilité est en quelques sortes toujours au bout du tunnel (La fiction TV est ainsi plus rentable et moins risquée que la fiction Cinéma). - Une différence de culture :
- Aux USA, toutes les personnes qui travaillent sur un film ou sur une série télévisée peuvent être assimilés à « des employés ». Le réalisateur est là pour mettre en image le scénario écrit par un ou plusieurs autres ; c’est une autre personne qui fera le montage sous la surveillance du showrunner qui pourra demander telle ou telle modification, car les postes aux États-Unis sont bien séparés et il est difficile de cumuler plusieurs tâches. Enfin, le vrai « final cut » appartient toujours au propriétaire de l’œuvre, c’est-à-dire le studio ou la production.
- Cette façon de travailler impose une réalité, qui même si elle est admise en France n’est pas dite comme telle, qui est qu’on ne fait pas de l’art mais du commerce (bien sûr au sens noble du terme).
L’industrie télévisuelle et cinématographique aux États-Unis usine des produits culturels à haute valeur ajoutée et vendus comme tels.
« L’Entertainment » (l’industrie du divertissement et le cinéma en premier lieu) est le deuxième secteur d’exportation des USA après l’armement.
- Des fonctions spécifiques :
- Des frontières de plus en plus poreuses entre cinéma et TV :
Enfin, les cloisons entre cinéma et télévision aux États-Unis sont très fines, surtout sur le câble où il existe une véritable synergie qui s’est créée entre les deux médias, les acteurs et les réalisateurs passant aisément d’un média à l’autre :- Quentin Tarantino réalisant un épisode d’Urgence ;
- David Lynch showrunnant Twin Peaks ;
- Jerry Bruckheimer produisant Les Experts ou FBI Portés disparus mais à qui l’on doit aussi les films Pirates des Caraïbes, Pearl Harbor ou Top Gun ;
- Alan Ball le scénariste primé aux oscars d’American Beauty réalisant Six Feet Under ;
- Glenn Close jouant dans Damages…
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Nous comprenons ainsi pourquoi les chaînes françaises quant à elles, renâclent à investir en masse dans des séries qui ne leur rapportent que de l’audience et donc de la publicité ou des abonnés ?! Si jamais les chaînes étaient pleinement coproductrices des fictions TV (comme la BBC par exemple), il est certain que leurs investissements pour produire des séries exportables et donc des « blocs » récurrents de 12 ou 24 épisodes seraient bien plus motivés.
Tant dans sa volonté d’exportation que dans sa production, la production de fiction US est une industrie puissante qui a favorisé certains rôles qui nous font encore défaut en France comme celui du showrunner (je n’y reviens pas) ou encore celui des agents (qui s’apparentent plus à des avocats qu’à de simples représentants).
Les agents règlent les problèmes financiers et négocient les salaires, trouvent du travail, défendent leurs clients… Leur position intermédiaire est très importante dans l’industrie US car elle décharge les « artistiques » de la partie matérialiste du métier, ils sont devenus aujourd’hui de véritables apporteurs d’affaires en construisant des packages complets. Mais ce ne sont pas des philanthropes. Leurs revenus étant fondés sur celui des personnes qu’ils représentent, ils prennent 10% de tout ce que leurs clients perçoivent (rentrées publicitaires incluses).
Enfin, les Managers, rôle qui n’a pas encore d’équivalent en France, consacrent des intervenants spécialisés dans la gestion de carrière, équivalent à un mix de nos DRH d’entreprise avec nos attachés de presse, qui gèrent les contrats, les apparitions, la communication et tous les aspects professionnels de la vie de leur client, qui à leur tour prennent 15% des recettes générées.
Que retenir ?
On comprend bien alors la différence de mentalités entre des industriels de l’audiovisuel américain et la position d’artisans que revendiquent certains producteurs/auteurs français. En France, en effet, la liberté que recherchent certains auteurs/réalisateurs s’épanouit majoritairement dans le Cinéma où les œuvres produites sont le résultat de la vision de l’auteur, propriétaire de son œuvre. La télévision française fait alors souvent figure de parent pauvre, ne profitant pas des meilleurs talents, ni du meilleur financement même si les choses évoluent lentement : certains réalisateurs, acteurs, ou auteurs venus du cinéma s’essayent à la télévision et souvent avec succès, comme Fabrice Gobert pour les Revenants, ou Vincent Elbaz dans No Limit (une production Besson) avec des budgets significatifs pendant que d’autres auteurs/réalisateurs/acteurs spécialisés en séries TV créent un véritable réservoir de talents qui commence à émerger dans des séries qualitatives d’aussi bon niveau que leurs homologues américaines, anglaises ou danoises (Ainsi soient-ils, Kaamelott, Un village français, etc.).
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Malgré la différence de modèles économiques entre le câble et les Networks, aux USA, une série va tenir l’antenne au minimum 3 à 4 mois. C’est un rendez-vous régulier qui doit provoquer un réflexe chez le téléspectateur.
- Sur le câble US, les séries vont servir à porter la notoriété de la chaîne qui recrute les meilleurs talents (cinéma, roman et TV) pour fabriquer des produits culturels à haute valeur artistique sur des sujets innovants et non consensuels qu’ils vont vendre à l’international comme tels. Les conditions de travail ainsi que les budgets sont souvent d’ailleurs plus confortables pour les équipes (moins d’épisodes, plus de libertés artistiques).
- Sur les networks, les annonceurs permettent à la chaîne de rentabiliser son investissement. Les scénaristes doivent sortir un scénario par semaine en générant un maximum d’histoires car un bon sujet ne se refuse pas, l’idée est plutôt d’imaginer l’angle d’attaque pour pouvoir en parler (on pense à la franchise Law & Order SVU). Enfin, les comédiens se doivent d’être disponibles pour les différentes saisons pour lesquelles ils ont signé, en contrepartie, la série leur garantie des revenus réguliers et une grande notoriété.
- A contrario, en France sur les chaînes gratuites, une série va tenir l’antenne pendant un mois et demi maximum (les formats en vigueur sont le 6, 8 ou 12 x 52’, diffusés par paire), il n’y a donc pas de fidélisation forte des téléspectateurs.
- Parfois pour faire « durer » la saison, les programmateurs passent des anciens épisodes avec quelques inédits pour compenser la faiblesse de volume. Pour les scénaristes, c’est le règne du politiquement correct sur des cibles très larges et familiales, les séries doivent rassembler le plus possible et donc être le plus consensuelles possible (Camping, Joséphine, L’homme de la situation ou encore les collections de low concepts du service public : pour en savoir plus sur la différence entre un low et un high concept, je vous renvoie au cours Le high concept, ou comment vendre son premier scénario à un producteur.).
- Pour les acteurs, l’investissement est différent. Le faible nombre d’épisodes fait qu’ils peuvent se trouver d’autres projets ailleurs, la conséquence étant parfois que leur présence sur la série n’est plus assurée lors de la saison 2 si celle-ci est programmée trop longtemps après la première saison.
- Le modèle du câble US quant à lui est essentiellement incarné par Canal+ et Orange Cinéma Série (dans une proportion moindre) qui produisent des séries sur un modèle proche du cinéma ou carrément inspirées de l’international avec le système des coproductions où le savoir-faire est importé. Des chaînes à faible audience comme Arte ou France 4 se permettent plus de libertés éditoriales mais restent encore sur des volumes confidentiels pour l’instant.
- Pourtant, on sent un nouveau frémissement :
- Avec les productions Besson qui pleuvent sur l’ensemble du PAF,
- les programmes à haute valeur artistique de Canal+ ou encore d’ARTE pour le registre série événement,
- ou encore quelques tentatives du service public avec Les hommes de l’ombre ou même Caïn, inspiré par Dr. House,
- le développement en volume des formats courts avec Scènes de ménage, Nos chers voisin, En famille mais aussi Vestiaires, la Minute vieille, etc.
- une nouvelle création télévisuelle pointe. Reste à espérer que ce nouveau modèle perdure.
- À grands traits, on voit ainsi la différence des deux côtés de l’Atlantique même si la comparaison brute n’a pas de sens. Elle permet juste peut-être de comprendre ce qui va nous arriver dans quelques années.
- Les Américains ont bâti une industrie ad hoc, inspirée par le cinéma au départ mais vite autonome, où dominent quelques figures : le studio, les agents, le showrunner…
- Les Français eux, cherchent encore de nouvelles façons de faire sans brusquer l’organisation mise en place. Espérons que toutes les avancées actuelles débouchent sur un modèle original qui nous permettent à notre façon d’industrialiser la fiction française et de mettre enfin l’auteur au centre du processus créatif.
Pour apprendre vous aussi à créer une série efficace avec le cours écrire une série tv, les quatre ingrédients d’une bonne bible de série.