Triste nouvelle pour tous ses fans dont je fais partie : Ray Bradbury est mort ! À 91 ans, plus de 600 histoires, et des dizaines de romans au compteur, un des pères du fantastique nous a quitté. Il s’est démarqué en proposant une vision plus poétique, mais aussi pessimiste du monde, et heureusement pour nous, il […].
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Triste nouvelle pour tous ses fans dont je fais partie : Ray Bradbury est mort ! À 91 ans, plus de 600 histoires, et des dizaines de romans au compteur, un des pères du fantastique nous a quitté. Il s’est démarqué en proposant une vision plus poétique, mais aussi pessimiste du monde, et heureusement pour nous, il a beaucoup parlé de son art.
Il était célèbre pour son roman d’anticipation Fahrenheit 451, l’histoire d’un pompier chargé de brûler toutes les bibliothèques illégales, et qui finit par se rebeller contre ce système totalitaire. Mais au-delà de toutes les biographies parues ce matin, je vous propose de retenir quelques pensées importantes de l’auteur sur sa façon de concevoir le métier de romancier, et son art à travers une intervention qu’il a faite lors de la cérémonie du sixième Annual Writer’s Symposium by the Sea, en 2001. Il y a évoqué son amour de l’écriture et l’ensemble des motivations qui ont guidé sa longue carrière : c’est parti !
- N’écrivez pas commercial
- Écrivez tous les jours
- Soyez patient
- Lisez toujours une nouvelle avant de dormir
- Evitez les censures
- Allez au cinéma
- Ne considérez pas l’écriture comme un business ou un job
- Sachez refuser les commandes qui ne vous correspondent pas
- Préférez toujours l’écriture à l’argent
- Faites des listes
- Ouvrez-vous à la surprise
- Rencontrez des professionnels sans a priori ou sans motivations commerciales
- Posez-vous toujours des questions existentielles
- Écrivez sans vous préoccuper de la suite
- Ouvrez-vous aux rencontres
Ray Bradbury est avant tout un écrivain de la forme brève, de la nouvelle. Il a en effet donné ses lettres de noblesse à une littérature fantastique, onirique et lyrique, parfois teintée de science-fiction. Ses livres les plus célèbres, étaient au départ des petites nouvelles qu’il a rassemblé sous le roman Chroniques martiennes paru en 1950 ou encore L’Homme Illustré paru en 1951. Si vous lisez bien ces deux livres qui regroupent en fait des nouvelles légères et poétiques, liées entre elles par un fil narratif ténu, mais qui ne constitue pas véritablement une intrigue en soi, c’est tout simplement parce qu’au départ, Ray Bradbury ne les avait pas écrites comme un roman. Confronté à la prudence des éditeurs qui hésitaient à publier des nouvelles, Ray Bradbury suite aux conseils de l’un deux qui devint son éditeur, les a modifiées et regroupées par thème pour en faire une illusion de roman. C’est comme ça qu’il a percé, et n’a jamais changé sa façon d’écrire après. Il n’était pas connu à l’époque et n’écrivait pas sous le bon format, la nouvelle ne se vendait pas, mais il a persévéré et c’est ce qui lui a ouvert les portes du succès. Ray Bradbury a toujours écrit sans se soucier d’un quelconque débouché commercial.
A tous les auteurs débutants qui veulent faire de l’écriture leur métier, Ray Bradbury conseille de commencer par la nouvelle. C’est ce que lui a fait directement. Autodidacte, il n’est jamais allé à l’université mais a appris son métier d’écrivain en se rendant, adolescent, dans des bibliothèques publiques où il a lu tous les grands : d’Edgar Allan Poe, en passant par les Tarzan d’Edgar Rice Burroughs ou encore Le Magicien d’Oz de L. Frank Baum. Dès l’âge de 12 ans, il écrit tous les jours et n’a que 17 ans quand sa première nouvelle est publiée dans un fanzine. Ainsi, au départ de toute carrière dans l’écriture, il y a la pratique. Il faut écrire tous les jours pour trouver son style et savoir de quoi l’on a envie de parler. Il ne faut pas écouter autre chose que son coeur : « Do what you love and love what you do ».
Ray Bradbury a commencé à écrire à 12 ans, et ce n’est que 10 ans plus tard qu’il a eu l’impression d’avoir écrit sa première bonne histoire. Il a écrit son premier roman vers 30 ans, et n’a été satisfait de ses écrits qu’après son troisième livre. Il faut du temps pour apprécier son propre talent. Pendant ce temps de maturation, il est important de lire d’autres auteurs, d’être inspirés par d’autres artistes. Il cite Richard Matheson, Edgard Allan Poe, Hopkins, Frost, et certains écrivains comme Steinbeck, Huxley et Thomas Wolfe, etc. et avoue s’en être beaucoup inspiré pour créer ses propres histoires.
C’est une littérature qui apporte beaucoup, ainsi que les poèmes de Shakespeare, ou d’autres, ou encore des essais sur tout un tas de sujets : anthropologie, zoologie, philosophie, etc. George Bernard Shaw a été l’une de ses grandes sources d’inspirations. La lecture est un élément fondamental de tout travail d’auteur et apporte des idées. Ray Bradbury a développé le thème de fiction d’idées (fiction of ideas) : des idées qui n’existent pas encore, des métaphores, etc. qui inspirent le travail d’auteur. Tout auteur doit pouvoir croire en ses idées, c’est une source d’inspiration inépuisable. Avec une idée qui nous motive, nous pouvons écrire des milliers de romans. C’est parce que nous avons des idées que nous avons envie d’écrire.
Il faut savoir s’entourer d’ondes positives quand on veut être écrivain, ou quand on assume cette ambition car beaucoup de gens de notre entourage en profite parfois pour nous en dissuader. Ray Bradbury a passé sa vie à éviter ceux qui croyaient savoir comment il fallait écrire, critiques ou professeurs. Il leur a préféré la compagnie des réalisateurs et des scénaristes, des artistes ou des dessinateurs.
Surtout dans son enfance, Ray Bradbury a été voir tout un ensemble de films fantastiques, comme King Kong, The lost world, The Phantom of the Opera qui l’ont grandement influencés. Il faut être influencé de plusieurs types de fiction. Tout ce qui vous divertit est bon !
Il ne s’agit que d’un pur bonheur qu’il faut appréhender comme une joie, comme un divertissement personnel qui soit FUN, car si on le prend comme un travail, ou une tâche à faire, on perd toute la saveur de l’écriture. D’ailleurs, Ray Bradbury s’amuse à traiter du Writer’s block, de la peur de la page blanche… Pour lui, il ne s’agit que d’un avertissement de son inconscient qui ne s’amuse pas assez, qui bloque sur un sujet qui n’est pas intéressant. La peur est un message à bien interpréter : souvent il s’agit d’une mauvaise direction d’écriture que l’on prend consciemment pour de mauvaises raisons (monétaires ou rationnelles sur tel ou tel sujet qui serait dans l’air du temps, etc.) et qui en fait ne mène nulle part.
Attention aux commandes infaisables. Parfois, on vient chercher un auteur pour écrire tel ou tel film, mais si cela ne correspond pas à ce qu’il sait faire, le résultat peut être catastrophique, non seulement il produit une oeuvre médiocre, mais il ruine ainsi sa réputation. Il faut savoir dire non parfois pour sauver son univers d’auteur. Ce sont des décisions difficiles à prendre, car on a toujours besoin d’argent et de reconnaissance, mais elles sont nécessaires pour faire durer une carrière.
On n’écrit pas pour l’argent, sinon, il faut changer de métier. Ray Bradbury a du attendre ses 40 ans pour pouvoir s’acheter une voiture alors qu’il avait déjà 4 enfants. Il a passé son temps à vendre ses nouvelles pour quelques dollars pour s’acheter sa liberté. Il s’est battu avec ses éditeurs toute sa vie. Certains voulaient des histoires de fantômes traditionnelles, mais lui, ne voulait écrire que ce qu’il avait en tête. Il faut être fidèle à soi-même même si au départ, ce n’est pas commercial, ou vendeur et même si on a des responsabilités familiales. Ce sont ces types de choix qui orientent une carrière et qui ouvrent des possibilités pour durer.
Faites des listes de ce que vous aimez ou détestez et écrivez à ce sujet. Si vous sondez votre cœur, votre âme, vous êtes sûrs de ne jamais avoir peur de la page blanche. Faites des listes sur vos peurs, les gens que vous détestez, vos envies, les choses que vous aimez, etc. L’écriture est personnelle, elle doit refléter votre personnalité, votre histoire, les sujets qui vous touchent, sur lesquels vous avez quelque chose à dire. N’écrivez pas pour un marché, ou pour une cible que vous ne connaîtrez jamais vraiment, car c’est le meilleur moyen de vous dégouter de l’écriture.
Laissez le mystère vous envahir. Les surprises font partie de la vie de l’écrivain. Les mystères touchent tous les genres, les sujets. On lit parce qu’on est curieux, et on écrit pour trouver des solutions à nos propres mystères. Parfois, on laisse des sujets de côté, et puis on y revient quand on est prêt.
Ray Bradbury a passé ses 30 premières années à vivoter de ses histoires, et puis un de ses amis l’a motivé à aller à la rencontre du monde de l’édition New Yorkais, la mecque pour les romanciers. C’est là qu’il a rencontré plein de grands éditeurs qui ont essayé de le dissuader d’écrire des nouvelles, car elles ne faisaient pas vendre. Mais alors que Ray Bradbury était prêt à rentrer chez lui dépité, la queue entre les jambes, il a fini par tomber sur un éditeur qui lui a proposé de rassembler toutes ses nouvelles martiennes sous une bannière commune. Ray Bradbury l’a convaincu avec un pitch qui est devenu Les chroniques martiennes, puis un autre pitch qui portait sur une simple nouvelle au départ, qui est devenue L’homme illustré. Là aussi, cette rencontre et la vente de ses deux premiers romans sont venus par surprise.
Qui suis-je ? Comment puis-je me découvrir ? sont les questions les plus importantes que doit se poser tout auteur pour découvrer sa vraie personnalité, ses envies, ses passions, etc. Il faut savoir faire un travail d’introspection pour partir à la découverte de son passé, de sa vie et regarder tous les aspects de ce qui a contribué à nous construire. Sa famille et les bibliothèques ont été ses sources d’inspiration principales. Ray Bradbury a passé son enfance sous le porche de sa maison de famille à écouter son père et son grand-père échanger des histoires sur leur enfance. Il a écrit plusieurs années après, une histoire qui se déroulait sous un porche, comme ce qu’il avait lui-même expérimenté enfant. De même, il a écrit des essais sur la cuisine de sa grand-mère, et après quelques années, il a réussi à rassembler une quarantaine de nouvelles qui ont formé un roman.
Suivez vos envies. Ray Bradbury raconte l’anecdote d’avoir été voir un film avec Gene Kelly, Singin’ in the Rain et en être revenu avec l’envie d’écrire un film pour l’acteur. En cherchant dans ses archives, il a trouvé une histoire intéressante dont il a rédigé un traitement (75p), qu’il a appelé Dark Carnival et Gene Kelly l’a adoré, mais il n’a pas réussi à trouver de financement pour le faire. Avec ce scénario dont il ne savait pas quoi faire, il en a fait une pièce qui a été ensuite multi-adaptée appelée Something Wicked This Way Comes et qui a eu beaucoup de succès. L’anecdote nous montre qu’il faut savoir écouter ses envies. Chaque histoire finit toujours par trouver un moyen d’aboutir.
Parfois une rencontre change une vie. Fan de peinture, Ray Bradbury est entré dans une galerie, sachant très bien qu’il ne pouvait pas se payer un tableau qu’il avait vu en vitrine, mais une fois à l’intérieur, en discutant avec le marchand, ce dernier lui a présenté d’autres œuvres de l’artiste, qui l’ont inspiré sur des idées de romans potentiels. Il a réussi à avoir les coordonnées de l’artiste, Joseph Mugnaini, et l’a appelé pour faire un deal : si ses peintures ne se vendaient pas, Bradbury les lui rachetaient à moitié prix. Il s’est avéré que Mugnaini a fini par lui donner ses tableaux. Cette rencontre a été importante car Joe Mugnaini est devenu ensuite son illustrateur pendant tout le reste de sa vie.
Toute sa carrière, ses sources d’inspirations ont guidé son écriture. Ray Bradbury a été fidèle dans ses amitiés et dans ses croyances. Têtu, il a toujours été au bout de ses idées, même si en étant à contre-courant, il a mis du temps parfois pour voir ses oeuvres aboutir.
Il a gardé ses rêves et son âme d’enfant : « la chose la plus amusante dans ma vie, c’était de me réveiller chaque matin et de courir jusqu’à la machine à écrire parce que j’avais eu une nouvelle idée ».
Pour lui comme pour nous, l’écriture ne sera jamais une affaire d’argent, mais bien un simple échange, pur et délicieux, entre un auteur et un lecteur.
High concept a développé un atelier d’écriture créatif pour donner aux auteurs le courage d’aller au bout de leur projet et de leurs rêves. Alors n’hésitez pas. A vos crayons.
Qu’en pensez-vous ?
Fred Robin
Superbe article digne d'un artiste qui a été toujours fidèle à ses convictions merci pour ce résumé….
High concept
+1 ! Ca fait du bien de lire ça ! Tiens, je vais imprimer ces conseils et les mettre au dessus de mon bureau — bien joué madame Salmon 😉
Dominique Privé
Ah Bradbury, Van Vogt, Philip K Dick !! Que d'histoires fabuleuses !!
Excellent article que je conserve aussi près de mon lieu d'écriture. Il n'y a qu'un détail auquel je n'adhère pas complètement: " Pour lui, comme pour nous, l'écriture ne sera JAMAIS une affaire d'argent…" Hélas, hélas… Je crois qu'il faut être réaliste, la meilleure façon d'être reconnu pour un petit scénariste méconnu (voire plus) c'est bel et bien de signer (au moins une option) et d'encaisser un petit chèque… Non ? L'égo, a besoin de se nourrir de cette façon là aussi, à mon avis…
Anonyme
Ces conseils me rappellent ceux du livre Libérez votre créativité de Julia CAMERON, livre excellent pour débloquer les artistes, pour continuer à jouer et à prendre du plaisir dans la création. Merci pour cet article !
High concept
@Dominique : Pas faux ça Domi ! Mais j'ai tendance à penser que l'argent est une énergie positive qui arrive quand on persévère –honnêtement !– dans le sens de sa créativité. Je ne connais pas d'auteurs qui se seraient accrochés sans signer au moins une petite option encourageante. Bon, il y a toujours le contre-exemple de certains artistes maudits façon Van Gogh, c'est vrai. Mais je m'égare, on est presque dans la spiritualité là ! 😉
High concept
@Anon : Bien vu. (Si vous avez aimé cet ouvrage, ne loupez-pas notre cycle de vidéos sur la créativité qui débutera à la rentrée — voir notre programme de l'atelier 2012.)