Un malaise s’empare de moi à la lecture de certains papiers de la presse dite « spécialisée en fiction TV » ces derniers temps. Face aux scores sans appel des fictions US sur nos écrans (cf. Mentalist, qui a battu son record et fait 9,5 millions de téléspectateurs), certains journalistes de nos grands journaux nationaux font preuve […].
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Un malaise s’empare de moi à la lecture de certains papiers de la presse dite « spécialisée en fiction TV » ces derniers temps. Face aux scores sans appel des fictions US sur nos écrans (cf. Mentalist, qui a battu son record et fait 9,5 millions de téléspectateurs), certains journalistes de nos grands journaux nationaux font preuve d’une véritable bravoure, ou de cynisme peut-être, quand ils se mettent à soutenir nos productions nationales coûte que coûte, et ce, parfois en dehors de critères de fond.
À tous les festivals, c’est l’école des fans
Les critiques sont DITHYRAMBIQUES ; puis quand arrive la diffusion, les perceptions et les scores sont décevants, à quelques exceptions près. Exceptions qui, souvent, ne sont pas celles qu’on voudrait voir. Face aux bons scores de Joséphine, Victoire, Camping et autres séries « populaires » de TF1 ou de M6, il n’y a plus personne pour tenter d’expliquer pourquoi le public est au rendez-vous, malgré la faiblesse artistique de ces projets. Pourquoi ce soutien aveugle à une certaine fiction française seulement, celle du service public et autres assimilées ?
Les mots de certains ne sont jamais assez durs pour critiquer telle ou telle série américaine : décevante, prévisible, etc. En ce qui concerne certaines de nos fictions au contraire, c’est à peine si l’on entend des bémols. Je me suis amusée à faire un petit récap des derniers papiers sur Caïn par exemple, la nouvelle série de France 2, que j’ai regardée avec un mélange de plaisir et de déception (cf. mon billet sur les problèmes de narration de cette fiction à la française). Voici le résultat :
- Le Figaro —Caïn, un flic intouchable par Gilles Boussaingault, émet une toute petite réserve : « Pour pallier son handicap, il joue d’une insolence et d’une provocation permanentes, servies par Bruno Debrandt dans le rôle-titre, qui trouve un ton juste et parvient à ne pas en faire trop. Heureusement, car, très vite, on pourrait sentir, avec ce héros solitaire et ironique, un désir, volontaire ou non, de copier le Dr House. »
- Télérama —Mais qui est Caïn ? par Isabelle Poitte , évoque aussi « Le caractère du docteur House, le génie de Columbo et le handicap de l’Homme de fer… Rien de plus facile que de réduire Caïn, flic en fauteuil roulant et héros d’une nouvelle série, à ses sources d’inspiration américaines. Sauf que l’enquêteur marseillais, subtilement incarné par Bruno Debrandt, déjoue le piège de la copie pour imposer son style, entre sensibilité, aigreur et humour caustique. »
- Le Monde Télévision —Caïn par Christine Rousseau, fait de même : « Si l’on peut regretter la faiblesse de l’intrigue, lors du premier épisode, celle-ci prend peu à peu de l’épaisseur et de la complexité dès les volets suivants (8 × 52 minutes). Sans atteindre cependant celle d’Engrenages, où officie également Bruno Debrandt, qui démontre avec brio grâce à ce nouveau rôle toute l’étendue de son jeu. Au point de nous faire oublier par endroits son handicap. Ou, tout du moins, de faire de ce personnage un héros presque « ordinaire ». À ce titre, Caïn est une vraie et belle réussite. »
- Le Parisien —Formidable, ce flic en fauteuil par Carine Didier, qui conclut « À défaut d’intrigue forte dans les premiers volets, le jeu de chien et chat du duo d’enquêteurs est aussi jubilatoire que les répliques du flic, attachant et désarmant. »
Je passe sur les innombrables sites dédiés aux séries et autres éditions web de journaux régionaux qui se contentent de reprendre point par point le dossier de presse laudatif du projet, (comme Téléloisirs, La Montagne, Terrafemina etc.) à telle point qu’on se demande si les journalistes ont bien vu la série. Il faut chercher un peu pour trouver d’éventuelles critiques comme :
- Le monde des séries —Caïn en roue libre par Pierre Sérisier : « Sa paraplégie n’est finalement qu’un prétexte manquant cruellement d’originalité. On aurait pu imaginer bien d’autres choses comme fondement à son mauvais caractère et à sa détermination à continuer d’être flic. »
Le même consensus, peut-être même plus exacerbé, sévit ces derniers jours pour louer Ainsi soient-ils, la nouvelle série d’ARTE, où nous passons carrément à une forme religieuse de journalisme, de type vous-pouvez-mieux-faire-mais-l’idée est-tellement-innovante-qu’il-faut-continuer. Est-ce que cet encouragement s’adresse aux auteurs ou au diffuseur ?
- Le Monde Télévision —Ainsi soient-ils : sacrée série ! Par Guillaume Fraissard et Stéphanie Le Bars : « En dépit de quelques maladresses et invraisemblances, Ainsi soient-ils porte un regard juste et touchant sur ces personnages hors norme. Il aurait été facile de les enfermer dans la caricature ou de les plonger dans une atmosphère nimbée de passéisme. Les huit épisodes montrent, au contraire, des hommes de foi ordinaires et contemporains, d’impeccables héros d’une série qui ne manque pas de grâce. »
- Le Point —Ainsi soient-ils, la foi ne connaît pas la loi par Charlotte Pons : « Pas question d’angélisme, donc, dans cette série produite par Arte. Si ce n’était la fascination exercée par la vocation – qui choisit d’être ordonné prêtre aujourd’hui ? -, elle pourrait se dérouler dans n’importe quelle communauté. Car plus que la question de la foi – comment la vivre, jusqu’où, comment l’accommoder avec sa nature humaine, avec la société -, elle pose celles de la connaissance de soi, de l’acceptation de ses limites et de la difficulté à vivre ensemble. »
- Le JDD —Arte prêche pour sa paroisse par Adeline Fleury : « Entre espoirs et doutes, corps et esprit, paroisses désertées et intrigues de pouvoir Ainsi soient-ils offre une immersion inédite dans les couloirs de l’Eglise. »
- Le blog Tête de série —Ainsi soient-ils, amen par Pierre Langlais : « Où même les séries qui peuvent s’améliorer comme Ainsi soient-ils sauront nous donner envie de leur donner le temps. » Malgré quelques bémols « Il y a des longueurs, des lenteurs, des silences, qu’il faut apprendre à embrasser. On ne regarde pas une série comme celle-là pour ses scènes d’action. »
- Le Monde des séries —Ainsi soient-ils, l’aveu de tolérance par Pierre Sérisier : « Quelques petites maladresses subsistent au long des huit épisodes, mais l’ensemble dévoile une réelle exigence de qualité dans la production, la narration, le suspense et les dialogues. Ainsi Soient-Ils procède d’une ambition qui s’est donnée les moyens de parvenir à son but. Cela est suffisamment rare dans les oeuvres télévisuelles françaises pour que l’on s’en réjouisse. Amen. »
L’éloge est unanime à part peut-être Le Figaro, mais il fallait bien chercher :
- Le Figaro, –Les dix séries phares de la rentrée par Muriel Frat et Constance Jamet : « La crise des vocations, les difficultés financières, l’isolement des prêtres mais aussi les espoirs de jeunes gens prêts à servir Dieu forment la trame de cette série pour le moins originale mais qui tombe dans la caricature dès qu’elle aborde la richesse de l’Église. »
Je ne sais pas si la série d’Arte est de bonne facture ou pas, mais à lire l’ensemble de ces articles élogieux, mon sang se glace. J’ai peur de me faire avoir comme pour Caïn.
Faut-il vraiment enfoncer dans le crâne des téléspectateurs la fiction française avec un tel matraquage marketing soutenu par une presse qui veut faire œuvre de salut public, vantant certaines de nos productions nationales à coups de « cette fois-ci c’est la bonne » ?
Certes, personne ne souhaite tirer sur l’ambulance, mais comment retenir les leçons de nos erreurs pour nous améliorer autrement ? Il semble en tout cas que la campagne promo ait marché : Ainsi soient-ils a dépassé les attentes et battu les records de la chaine, Caïn se maintient à un niveau correct. J’attends tout de même la suite des audiences pour ne pas crier victoire trop vite comme pour Inquisitio.
Le public français est éduqué. Il regarde en masse la meilleure fiction au monde qui, même lorsqu’elle est objectivement ratée, plane au dessus du niveau moyen de notre fiction nationale avec une facilité déconcertante. La rareté de l’offre de la fiction hexagonale ne doit pas nous faire prendre non plus des vessies pour des lanternes.
Les qualités intrinsèques d’une série récurrente resteront toujours sa capacité d’addiction, ses intrigues bien menées, son rythme, l’originalité de ses personnages, etc. Une thématique innovante ou encore un bon casting ou une déclaration d’intention ne seront jamais suffisants. Pour vous exercer à créer une série, n’hésitez pas à visionner le cours écrire une série tv, les quatre ingrédients d’une bonne bible de série.
Bien qu’habituée à cet incessant florilège d’auto congratulation, pas née de la dernière pluie, je continue pourtant de m’étonner. Pourquoi vouloir à tout prix nous faire passer des œufs de lump pour du caviar ? Il n’y a rien de mal à manger des œufs de poisson et je crois que le téléspectateur sait ce qu’il a dans son assiette. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas célébrer les réussites pour ce qu’elles sont. J’aimerais ainsi entendre plus de réelles critiques positives, c.-à-d. sur des critères légitimes. Avons-nous simplement envie de voir la suite ? De savoir si le personnage principal va s’en sortir ?
Dans un monde où la fiction franco-française vit encore trop sur d’anciens automatismes, il est certes important de saluer les initiatives innovantes. Mais de là à travestir la réalité, je crie au holà.
Cela pose aussi bien sûr la question des critères d’analyse d’une bonne série
Lesquels retenir ? Je pencherai pour ceux des téléspectateurs.
Si de bonnes audiences ne sont pas forcément la preuve d’une bonne fiction, l’inverse est rarement le cas (à moins que ce ne soit au final qu’une question de puissance de feu marketing !). Et vous, qu’en pensez-vous ?
Anonyme
J'ai effectivement le même sentiment, ce qui est d'autant plus étonnant c'est surtout de voir les différences entre critiques de séries tv et de films de cinéma. Les critiques sont loin d'être élogieuses pour de nombreux films français qui cartonnent alors que comme vous le dites, à l'inverse, les critiques sont éloquentes pour des séries françaises délaissées rapidement par le public.
J'ai donc ce sentiment qu'on se montre vraiment très indulgent envers les tentatives de séries TV, il est vrai qu'on a eu tellement de séries médiocres qu'une série comme Ainsi soient ils apparait aujourd'hui comme une grande réussite en terme de narration/dialogues/personnages mais si on la juge vraiment sans comparaison à d'autres séries et en omettant le fait que ce soit une série française, là on a une série qui a encore pas mal de lacunes et qui est juste au final une série intéressante mais pas vraiment captivante à mon humble avis.
J'ai aussi l'impression que cette même presse soi disant spécialisée ne maitrise pas du tout son sujet quand je voie qu'elle loue l'"originalité" d'une série comme ZAK alors que beaucoup semblent oublier qu'il y a 2-3 ans, la série NRJ12 BOB GHETTO avait exactement le même concept et le même ton d'humour !(si ce n'est que le personnage était un DJ électro et pas un chanteur rnb).
Idem comme une série comme LES LASCARS qu'on récompense au festival de La Rochelle alors que la série compte selon moi un nombre incroyable de lacunes ne serait-ce que par exemple le défaut de pas savoir imposer un ton propre comme le font toutes séries (ainsi on a des épisodes en un seul décor façon sitcom, des épisodes proches de la dramédie,…).
En conclusion, autant je peux lire pour les critiques cinéma des avis plus ou moins pertinents, autant pour les critiques séries TV j'ai l'impression de lire des extraits des dossiers de presse sans objectivité.
Fabrice O.
J'ai l'impression que l'on devrait faire une loi pour imposer aux critiques français des formations en dramaturgie et en mise en scène. Je me rappelle cette règle qu'avait Yannick Dahan journaliste à Mad Movies, en sortant de projo, il ne parlait qu'à certains journalistes qu'il connaissait pour éviter de retrouver ses propos repris mot pour mot dans l'article d'un confrère indélicat.
Pierre-Antoine Favre
C'est d'autant plus triste de voir l'indulgence des journalistes qu’ils sont les seuls (en dehors du public et de la sanction de l’audience) à pouvoir exercer de manière ouverte un véritable sens critique.
Pour cela, il ne faut pas compter sur les diffuseurs (principaux financeurs et n’ayant aucune raison d’interrompre un programme en pleine saison – en l’absence de production en flux tendus, tous les épisodes sont déjà réalisés), et pas davantage sur les producteurs, beaucoup trop dépendants des premiers sur le plan économique.
De la part des chaînes de télévision, la tendance est plus au satisfecit permanent sur leurs propres productions qu’à la capitalisation sur les erreurs (pour cela, encore faut-il accepter de les reconnaître…). D’où la sempiternelle répétition des défauts pathologiques et parfois rédhibitoires des fictions hexagonales.
Un tel contexte serait propice à la vivacité de la plume des journalistes. S’il n’en est rien, la raison n’est-elle pas à chercher du côté de la faiblesse générale des créations ? Comme cela a été suggéré par Anonyme. Après tout, même si Caïn, pour reprendre un exemple du moment, est une série pauvre dans sa substance, elle s’en tire plutôt de manière honorable par rapport à d’autres séries made in France.
Si les journalistes pouvaient juste comprendre qu’épargner la fiction française dans leurs commentaires n’est pas la meilleure façon de lui rendre service…
Mat
J'ai lu il y a quelque temps un article sur le grand retour de la tragédie, face au mélodrame. Il semble que la fiction de qualité US a choisi de privilégier la tragédie au sens mythique du terme depuis "Les Sopranos", et que la France persiste à appliquer les méfaits du mélo façon provinciale dans ses fictions, quand elle ne tente pas une imitation puérile des séries US sans en comprendre le fond. Le tragique n'est malheureusement visible que dans la condescendance de la critique, incapable de remettre en cause une auto-censure des auteurs, coincés par les exigences consensuelles des diffuseurs…
difficile de voir dans les encensements à la gomme autre chose que de la complaisance pour un système qui fait vivre toute une profession, loin de l'envie (ou le courage) de toute créativité…
ce qui est le plus frappant, c'est de constater que le désir au niveau spectateur est toujours aussi fort, que les séries de qualités (Boss, The booth at the end par exemple) ne sont visibles qu'en streaming ou en téléchargement "pirate", et que les chaines françaises sont incapables de relayer cette attente en création originales. Une proposition plus forte (pour ne pas dire un coup de gueule) des médias spécialisés serait en effet utile pour réveiller les décideurs, et les convaincre de la place prépondérante du scénariste dans la création. On peut toujours rêver…
High concept
@Fabrice O : tous les points de vue sont intéressants s'ils sont le fruit d'un raisonnement propre. Je m'étonne ainsi, tout comme vous, du suivisme et de la partialité de certains journalistes qui pensent surement faire de la pub au service public alors qu'ils génèrent en fait une machine à décevoir. Hélàs, ce n'est pas nouveau.
@PA Favre et Mat : tout-à-fait d'accord avec vous même si pour le vivre de l'intérieur, la qualité médiocre ne vient pas d'un problème d'ambition de la profession, bien au contraire ! C'est le système global de production qui est à revoir… N'oublions pas que les Américains ont mis plus de 20 ans pour y arriver (de Profit à Breaking Bad) avec des moyens massifs et une situation économique propice… D'ici à faire que les chaînes françaises soient dans une position de concurrence au niveau fiction, quelques initiatives ça et là sont très intéressantes à regarder. Dommage que ça vienne surtout des mêmes, je pense à l'excellent pilote des Revenants de Canal+ que je viens de voir.