Quel avenir pour le cinéma européen dans un monde envahi par les séries Netflix et Amazon ? Retour sur la journée "Narrations-Formats-Images" organisée par les Cinéastes de l’ARP.
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Le 19 juin dernier, l’ARP (la société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs) organisait un débat autour de la création cinématographique au Cinéma des Cinéastes à Paris. Le réalisateur Radu Mihaileanu (Président de l’ARP cette année) qui animait ce débat, en a profité pour rappeler les missions de l’ARP qui sont de défendre :
- la diversité des films français et européens,
- l’indépendance de l’auteur-réalisateur-producteur,
- la transparence économique de la production cinématographique.
Missions difficiles dans un monde où les géants du streaming produisent des séries à des prix défiant toute concurrence et qui viennent chaque jour prendre de nouvelles parts sur le marché de la création cinématographique européenne.
Pour le réalisateur Thomas Cailley, le constat est simple :
« la série arrive à nous faire rêver là où le cinéma ne se renouvelle plus. »
On connaît tous l’histoire de ces auteurs qui, à l’époque, ont fui l’uniformité d’Hollywood et sont allés chez HBO en acceptant d’être moins bien payés (au départ) pour pourvoir faire ce qu’ils voulaient.
Caroline Benjo, productrice chez Haut et Court explique :
« le cinéma a privilégié l’aventure des écritures plutôt que l’écriture des aventures. »
La série plus libre que le cinéma ?
Radu Mihaileanu nous alerte néanmoins sur le danger d’être écrasé dans une uniformisation des propositions, comme ce que l’on a connu au cinéma avec Hollywood. Ces nouvelles plateformes sont-elles en train de tuer la création en se cachant derrière l’argument du volume et de la variété ?
Les européens n’ont pas la même puissance de frappe que les américains ou les chinois pour pouvoir tout de suite investir sur trois saisons. Dans ce contexte, comment tirer son épingle du jeu ?
Pour Fabrice de La Patellière, Directeur de la fiction de Canal+, notre atout réside dans la diversité de nos écritures.
« Les trentenaires aujourd’hui ne s’abonnent plus à Canal, ils regardent Netflix, rappelle-t-il, et face à un géant comme Netflix, Canal ne fait pas le poids ».
Quand Canal investit un million dans un épisode, Netflix met dix fois plus.
Pour pouvoir réunir les 40 millions qu’a couté la série « The Young Pope » par exemple, Canal a du s’associer avec HBO et Sky Atlantic. Dans ce contexte, la seule carte que l’on peut jouer est celle de la différence et de l’exception culturelle européenne.
Et pour Caroline Benjo, « cette exception culturelle n’est pas un combat d’arrière garde, nous devons agir auprès des pouvoirs publics pour la préserver. »
L’exception culturelle, rempart contre les géants américain ?
Rappelons, que Casa de Papel est une série espagnole, produite en langue espagnole et pourtant achetée par Netflix, qui apparemment utilise la diversité comme argument de vente. Fabrice de La Patellière le reconnaît :
« on a du faire « Versailles » en anglais car on aurait jamais trouvé les financements pour le produire en français. »
La réalisatrice Deniz Gamze Erguven ajoute qu’ « un américain est quelqu’un qui ne sait pas regarder une série sous-titrée et qui ne va pas voir un programme où il n’y a pas un acteur américain. »
Et en terme de création, joue-t-on avec les mêmes armes ? Antoine Le Bos, le co-directeur du groupe Ouest qui accompagne les scénaristes explique :
« les auteurs anglo-saxons ont tellement la pression du marché qu’ils arrivent à créer très rapidement des enjeux très forts à leurs histoires, mais qui sont souvent dépourvues de vraies thématiques de fond. Les français, c’est exactement l’inverse. »
Pour la scénariste Fanny Herrero, le cadeau que les séries donnent au cinéma, c’est de la méthodologie d’écriture. Là où le film d’auteur regardait de haut les notions de dramaturgie, la série remet le travail au goût du jour. Mais elle différencie les auteurs et les réalisateurs. Aux US, le réalisateur est souvent un technicien, pas un auteur, et l’auteur intervient tout au long du processus de création d’un film.
« En France, le fait d’être uniquement auteur et non réalisatrice m’empêche parfois de faire valoir mes choix, précise-t-elle, qui donnent pourtant sa singularité à la série. »
film d’auteur vs série d’auteur ?
Eric Rochant est l’un des rares à avoir réussi à industrialiser les processus de création de ses séries. Mais il faut se rappeler qu’on donne les clés du camion à un réal qui va faire deux épisodes et partir. Qui assure la cohérence de la série ?
« Tout cela c’est bien beau, ajoute Caroline Benjo, mais à quoi ça sert de former des scénaristes si on n’a pas de canaux de diffusion ? »
En effet, presque tous les producteurs français aujourd’hui se mettent à la série, pourtant le temps antenne consacré à la série a très peu monté depuis 15 ans. Et pour Deniz Gamze Erguven la création dépend directement des investissements :
« la dotation des films a une influence directe sur leur qualité, point. On ne joue pas dans la même cour tout simplement parce qu’on n’investit pas les même moyens. »
Et si nous nous inspirions de ce que les américains font de bien, à commencer par savoir prendre le risque d’investir ?
Xavier Inbona, HC
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