Avec Le château ambulant, Hayao Miyazaki signe une oeuvre magistrale, poétique et dépaysante pour le public occidental. L'analyse du récit de celui qu'on appelle le « Disney japonais » révèle qu'en matière de scénario, son surnom est plus juste qu'il n'y paraît..
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Le château ambulant est un film qui se regarde avec plaisir. Les spectateurs sont d’abord séduits par l’univers de l’œuvre qui propose un dépaysement total, aussi bien géographique, temporel que culturel. Parmi les stratégies adoptées pour « kidnapper » le spectateur, l’univers visuel du Studio Ghibli reste inégalé, magique, poétique. En tout cas, moi je suis quasiment conquise à tous les coups ! La technique d’animation utilisée pour faire mouvoir le château au look steampunk relève d’une belle prouesse.
Structure du récit film Le château ambulant
Analysons la structure de cette œuvre selon la méthode 1-2-3© de High concept (formation socle, pack 10 formations).
Le 1 du 1-2-3© du Château ambulant
SOPHIE, une chapelière qui a peu confiance en elle, souffre de ne pas bénéficier d’une beauté sophistiquée. Elle vit dans une ville qui se prépare à une guerre imminente. Accostée lourdement par un soldat, dont SOPHIE a du mal à se défaire, un beau et charismatique magicien au nom de HAURU lui vient en aide. La SORCIÈRE DES LANDES, témoin de la scène et follement amoureuse du magicien, s’en prend à la pauvre SOPHIE et par jalousie lui jette un maléfice. La jeune fille est alors transformée en vieille femme, ridée, cheveux gris, voûtée. Prisonnière d’une malédiction dont elle ne peut pas parler, elle décide de s’éloigner de la ville à cause de sa nouvelle apparence.
Avec le personnage de SOPHIE, une vieille femme au cœur d’enfant, Miyazaki aborde les thèmes de la jeunesse et de la vieillesse avec brio.
N’importe quel collègue scénariste sait qu’un récit est, fondamentalement, la poursuite d’un objectif par un personnage. Toutefois, il est parfois malaisé de désigner cet objectif dans les œuvres subtiles telles que Le château ambulant. Au premier abord, le déclencheur du récit parait être la malédiction lancée contre la pauvre SOPHIE. La bande annonce américaine du film (ci-dessus) insiste d’ailleurs lourdement sur cet événement.
Mais un plan essentiel de cette bande annonce est à prendre en considération avant, au moment précis où la voix du narrateur nous promet un conte épique (epic tale) : celui de la rencontre entre SOPHIE et HAURU, le chevalier servant de cette histoire, qui est la cause de tout. Car si Le château ambulant est un conte fantastique, il possède surtout une structure cachée d’histoire d’amour, beaucoup plus hollywoodienne qu’il n’y paraît [1].
L’objectif de SOPHIE est d’être aimée du prince charmant, telle une bonne vieille Cendrillon, et la subtilité du récit réside dans le fait que SOPHIE l’ignore un temps (ironie dramatique).
Le 2 du 1-2-3© du Château ambulant
Les choses se compliquent quand, grâce à un ÉPOUVANTAIL visiblement maudit lui aussi, SOPHIE croise la route du château (ambulant) de HAURU et s’invite dans sa drôle de maison faite de bric et de broc. Elle y rencontre CALCIFER le démon du feu. Ce dernier, qui fait bouger le château, se dit être exploité par HAURU à cause d’un sortilège dont il est prisonnier. CALCIFER comprend que SOPHIE est victime elle aussi d’une malédiction et passe un marché avec elle : si SOPHIE découvre le secret qui lie HAURU à CALCIFER, ce dernier à son tour la libérera de sa malédiction.
SOPHIE s’auto proclame femme de ménage de la maison et parvient à faire accepter sa présence auprès de HAURU duquel elle tombe progressivement amoureuse. Elle nettoie, fait la lessive et les courses tout en découvrant les spécificités du fameux château qui a une porte permettant de communiquer avec des villes différentes. Ses sentiments et sa confiance retrouvée lui permettent de retrouver, par moments, sa véritable apparence.
HAURU, qui se dit être un froussard en se cachant de la SORCIÈRE DES LANDES et en endossant plusieurs identités pour éviter de prendre part à la guerre, envoie SOPHIE auprès de SULLIMAN, la conseillère royale qui cherche à l’enrôler dans leur armée. SOPHIE se fait passer pour la mère de HAURU. La SORCIÈRE DES LANDES, également présente, est privée de pouvoirs et rendue inoffensive et sénile, mais SULLIMAN, sous ses airs de conseiller d’une grande sagesse et aux traits doux, s’avère être un personnage terrible qui tient à ce qu’on lui obéisse. L’entrevue tourne court, SOPHIE et HAURU se retrouvent poursuivis par la garde royale.
SULLIMAN parvient à retrouver le château et tente de le détruire pendant l’absence de HAURU qui a pris conscience de l’importance de SOPHIE pour lui. Il prend part à la guerre pour la protéger.
Miyazaki nous parle très vite d’un pacte entre CALCIFER et HAURU (si SOPHIE parvient à le défaire, elle en sera également bénéficiaire et retrouvera son apparence).
Cependant dans le cœur du récit, à aucun moment SOPHIE ne cherche à libérer CALCIFER et HAURU de leur malédiction et encore moins à se libérer de la sienne.
En effet, si sa tâche n’est pas déclinée en rapport avec la partie fantastique du récit, elle est toute entière consacrée à l’histoire d’amour cachée. Quoi de plus dramatique que de côtoyer l’être aimé, mais en tant que simple femme de ménage et sous des traits hideux ? La thématique des transformations et faux semblants, véritable fil rouge thématique du film est, à mon sens, remarquablement tissé. On assiste à une véritable valse incessante d’identités de tous les personnages.
Il est aussi intéressant de constater que l’antagoniste change. La terrible SORCIÈRE DES LANDES, qui déclenche la malédiction de SOPHIE et qui lance l’histoire, est rapidement désamorcée. C’est un autre personnage, SULLIMAN, qui reprend ce rôle d’antagoniste externe. Là encore, si ce choix peut dérouter, il est tout à fait justifié si l’on considère que dans une histoire d’amour, l’antagoniste principal est surtout l’être aimé.
Le 3 du 1-2-3© du Château ambulant
Contre toutes attentes, après la destruction du château, SOPHIE trouve un passage qui lui permet de remonter le temps et ainsi assister à la naissance du pacte entre CALCIFER, démon venu sur terre telle une étoile filante, et HAURU, jeune. L’enfant offre son cœur au démon et le second reste prisonnier de celui-ci. SOPHIE a maintenant les clés pour les libérer tous les deux et leur crie de l’attendre dans le futur.
Revenue au temps présent, HAURU métamorphosé en oiseau au regard vide l’attend. SOPHIE n’a plus peur, l’embrasse et lui demande de l’amener auprès de CALCIFER. Ce dernier renferme en son foyer le cœur de HAURU qu’elle s’empresse de lui remettre dans son corps, libérant ainsi les deux « partenaires ». Elle libère également l’ÉPOUVANTAIL d’un baiser. Ce dernier se transforme en un jeune prince, victime lui aussi d’une malédiction. Il s’empresse de rentrer chez lui pour faire arrêter la guerre causée par sa disparition. SULLIMAN témoin de ce dénouement heureux, décide elle aussi de mettre fin à cette guerre. Le château reconstitué vole à présent. HAURU et SOPHIE vivent leur amour au grand jour.
FIN.
Dans la dernière partie du film, SOPHIE découvre enfin la clé du pacte entre le magicien et le démon et, par cette trajectoire personnelle, elle retrouve enfin son apparence de jeune fille (même si elle garde les cheveux gris, trace de sa malédiction).
Comme à son habitude, Miyazaki met en avant des personnages féminins sensibles et forts à la fois [2]. Ses héroïnes jouissent de la pureté d’âme de leur jeunesse et sont en pleine quête d’accomplissement. Le fait qu’elles ne soient pas dotées, comme SOPHIE, d’attraits sexuels particuliers, est une qualité supplémentaire qui nous permet de nous identifier plus facilement à ces personnages. Une histoire d’amour étant celle d’un couple, HAURU possède également une trajectoire intéressante : un temps lâche, il se virilise durant le récit en partant à la guerre, par amour pour SOPHIE.
Quand les attributs traditionnels du chevalier servant et de la jeune princesse sont retrouvés, SOPHIE et HAURU peuvent s’aimer. Même SULLIMAN finit amadouée par cette fin heureuse, participant elle aussi à ce happy end, fort anglo-saxon, qui nous rappelle que Hayao Miyazaki adapte ici Howl’s Moving Castle, un roman anglais de Diana Wynne Jones.
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Ce choix est peut-être une composante du succès occidental du film du « Disney japonais ». Qu’en pensez-vous ?
- Note HC sur le marché japonais
- [1] Contrairement à l’Inde dont le cinéma est hermétique à la narration occidentale (et donc souvent déroutant pour nous), le Japon est fortement influencé par Hollywood depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Dès les années 60, le Japon figure dans le top 15 export markets du magasine Variety, qui représente 80% des recettes extérieures des majors, et figure à la première place à partir de 1984. La prolifération des chaînes satellites et l’arrivée massive de la vidéo au Japon à cette date est un appel d’air aux productions américaines, dont les diffusions sont peu onéreuses. En 1985 par exemple, le marché le plus important de [abbr title= »United International Pictures »]UIP[/abbr] est bel et bien le marché japonais. ⇡
- [2] Le public des salles japonaises est surtout féminin, principalement composé d’adolescentes et de jeunes femmes. ⇡
- Source : MINGENT, Nolwenn. CNRS éditions.
Cédric Salmon
L’ado en moi (qui dévorait de la japanime après le lycée) est comblé ! Tout comme le scénariste d’ailleurs : car derrière les prouesses visuelles du studio Ghibli, il y a (surtout) des structures dramatiques efficaces. Merci pour cette analyse intéressante Zhéva 🙂
Mathieu Baugard
Une analyse concise et qui touche notamment le point fort de l’oeuvre, la valse de l’identité. On peut noter que la beauté des personnages est axée sur l’ouverture d’esprit, la capacité de discerner la magie montre des personnages sensibles qui ne portent aucun jugement sur les apparences. Dans un esprit Nippon le film met en avant la richesse des âmes, seule barrière à la tristesse et à la guerre qui les dépasse pendant longtemps au cours de l’oeuvre.
Merci pour l’analyse