Pour clôturer notre cycle sur comment écrire vos personnages, je vous propose de faire un dernier tour d'horizon sur les dix éléments indispensables à la caractérisation d'un bon protagoniste de fiction.
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Comment créer un personnage intéressant ? Comment le rendre visuel ? Il n’est en effet pas tout de concocter intellectuellement quelqu’un inspiré de votre quotidien, de votre imagination ou de l’actualité, il faut aussi pouvoir le mettre en action, le conceptualiser dans une histoire avec un début, un milieu et une fin.
Nous avons vu plusieurs façons de caractériser un personnage avec des fondamentaux à respecter (profitez de nos conseils gratuits sur notre blog) :
- définir un ou des archétypes
- Trouver des traits secondaires de caractérisation cohérents
- Maîtriser 10 règles pour écrire un antihéros efficace
- Utiliser 4 piliers pour écrire un bon méchant
Il est ainsi important de préciser que tant que vous ne nous le dites pas clairement dans un dialogue ou dans une didascalie, nous ne pouvons pas comprendre la caractérisation d’un personnage. Cette dernière n’est pas INTUITIVE et ne peut-être sous-entendue ou implicite, elle doit apparaître clairement et le plus tôt possible par rapport à l’apparition de votre protagoniste. Mais comment donner l’étendue d’un personnage et son potentiel de façon immédiate quand vous nous présentez votre héros ?
Rendre vos personnages principaux vivants et capables d’imprégner l’imagination de vos lecteurs/spectateurs.
- Premier conseil qui peut s’appliquer à l’ensemble du travail d’un auteur sur un scénario. Prenez par exemple la phrase suivante : « Jean-Roger, des bagues en or plein les doigts, porte une veste à carreaux et est mal coiffé. Il vient de descendre d’une moto de grosse cylindrée ». C’est une caractérisation un peu plate. Pourquoi ? Parce que l’image associée aux mots est floue : nous ne savons pas vraiment à qui nous avons affaire même si nous avons quelques pistes. Qu’avons-nous appris sur le personnage ? Chaque mot dans un scénario doit être pesé car il impacte directement le budget de production. Vous devez ainsi vous demander si les centaines d’euros de maquillage/coiffure/costumes, etc. en valent vraiment la peine. En scénario, il faut d’abord vous astreindre à fonctionner à l’économie la plus absolue, sinon, changez de médium et optez pour le roman.
- Présentez-nous tout de suite l’archétype de votre protagoniste : un lecteur ou un spectateur doit avoir une idée immédiate de votre personnage la première fois que vous le présentez. Un « petit gros » n’est pas un archétype, un « grand blond » non plus et ainsi de suite. Par contre, si vous nous montrez un séducteur en action, ou un menteur pathologique, nous aurons une meilleure idée de ce à quoi nous attendre pour le reste du film ou de la série. Vous pouvez aussi bien entendu insister plus largement sur le don/talent spécial de votre protagoniste qui en fait un être singulier et intéressant (cf. Dr. House par exemple).
- Soignez son entrée : habituellement réservée aux personnages clés d’une histoire, plus une scène d’introduction est forte, plus votre héros sera mis en valeur. Il est donc intéressant de soigner particulièrement le moment de sa présentation au spectateur. Beaucoup d’outils vous ont été donnés dans le cycle high concept consacré aux au high concept et notamment la présentation d’Indiana Jones dans le deuxième opus de la trilogie.
Dès le départ, nous le voyons en action et nous savons tout de suite qu’il est passionnant, courageux et génial. Cette technique n’est pas la seule façon de signer une entrée mémorable de protagoniste, vous pouvez aussi vous inspirer des Évadés (Shawshank Redemption) avec La voix off hypnotisante de Morgan Freeman qui nous présente le héros Andy Dufrêne de façon unique. Nous savons tout de suite à qui nous avons affaire et pourtant, le mystère reste intact : Andy est-il innocent ? La présentation du spectateur caractérise le héros et amorce aussi la question dramatique structurant le film. La réponse à cette question sera donnée à la fin.
Ces quelques exemples vous montrent ainsi à quel point ce moment d’introduction de vos héros est clé pour le spectateur : non seulement, il est attendu comme un passage obligé, mais il validera aussi le contrat que vous passerez avec lui pour le reste du film ou de la série. - Mettez-le en action : le meilleur moyen de présenter un personnage est de le montrer dans l’action (ce que les Américains appellent : « show, don’t tell ». Plutôt qu’un long paragraphe, même pertinent, préférez toujours une scène où il se passe quelque chose. Une action nous en dira toujours plus qu’une description si tant est qu’elle ait un intérêt pour votre histoire (cf. notre masterclass pour écrire une continuité dialoguée efficace). Car dans un film, comme dans la vie, la première impression est souvent la bonne. Si votre protagoniste est un enfoiré, il faut nous le montrer comme tel dans une action qui illustre cet archétype (hurle-t-il sur un autre personnage sans raison ? Contrevient-il aux convenances parce que ça l’amuse ?).
- Soyez cohérent avec le genre de votre histoire : « Miller, un cocaïnomane au nez proche du burn out » évoque une image qui correspond à la tonalité et au genre d’un film noir par exemple. Cette image ne serait pas autant adéquate pour caractériser un héros de conte, mais vous pourriez l’utiliser dans une comédie. Vos descriptions doivent ainsi nous donner un fort sentiment d’identité et de cohérence par rapport à l’histoire que vous racontez. Une des bonnes façons de le faire est d’utiliser le contraste. Si vous optez pour un corporate crime par exemple (qui parle des crimes dans le milieu de l’entreprise), pour mettre en valeur un personnage, il vous suffit de le différencier de son arène : « dans une grande entreprise du CAC au logo vert et bleu, au milieu des costumes-cravates à tons gris qui peuplent son open-space, Ramona, une jeune-femme souriante au look gothique (rouge à lèvre foncé, cheveux noirs parsemés de rayures roses vêtue d’un chemisier à dentelle rouge émergeant d’un corset parsemé de tête de morts argentés) joue de ses ongles noirs sur son ordinateur… ». Cette description nous fait tout de suite saisir le décalage de ce personnage avec son environnement et imprime dans notre esprit une image précise.
- Donnez un objectif à votre héros : un héros sans objectif (concret) est un héros passif et vous ne pouvez pas attendre de votre public de suivre un personnage passif pendant deux heures. Indiana Jones veut trouver l’arche d’alliance avant les Allemands, Luke Skywalker veut sauver la princesse Léïa, l’Inspecteur Harry veut trouver et punir les criminels, Dexter veut attraper et découper en rondelles des tueurs, etc. Par ailleurs, en donnant un objectif à votre personnage, vous définissez aussi ce qu’il est. Sauver quelqu’un, gagner de l’argent, obtenir une promotion sont des objectifs signifiants. Ils révèlent quelque chose de votre personnage. Plus ces objectifs seront profonds, durs à atteindre, mieux nous connaîtrons les personnages qui les poursuivent.
- Donnez-lui un secret : quand un personnage cache un secret, il est toujours plus intéressant que les autres car il rencontre plus de conflits, surtout s’il passe son temps à tenter de le dissimuler à d’autres.
Le secret est aussi en lui-même révélateur des caractéristiques d’un personnage. Dans dans Nurse Jacky ou Dr. House, les personnages principaux cachent leur dépendance à une drogue, c’est aussi très révélateur de qui ils sont et ce qu’ils font. Un bon secret peut ainsi ajouter beaucoup de profondeur à un personnage, tout en vous donnant des éléments pour structurer du conflit sur la durée. - Donnez-lui une faille : une faille définit un personnage en profondeur, car elle permet de comprendre ce que votre héros devra surmonter. Dans Black Swan, Nathalie Portman ne croit pas en elle-même.
Mais plus qu’un simple défaut, son manque de confiance a été construit pour structurer le film en profondeur, car dans chaque action du personnage, cette faille est présente en toile de fond et fournit du conflit au personnage. À la fin, la danseuse finit par vaincre son ennemi intérieur même si elle le fait dans la douleur. Ainsi, pour qu’elle soit efficace, une faille doit revenir plusieurs fois heurter votre personnage principal qui devra atteindre son objectif tout en ayant résolu son problème fondamental. Cet outil vous permet aussi de creuser votre personnage tout en vous donnant des éléments pour trouver la fin de votre projet. - Ajoutez des détails caractéristiques : pour donner de la profondeur à un personnage, nous avons vu qu’on pouvait lui ajouter certaines caractéristiques, bizarreries, traits de personnalité secondaires qui permettent de faire ressortir son archétype. Un détail peut parfois avoir de l’importance si vous parvenez à en faire un symbole de ce qu’est votre personnage.
Dans Le Dîner de cons, le con joué par Jacques Villeret est sublimé par sa tendance à construire des maquettes en allumettes par exemple, ou par son amitié avec un autre con nommé Lucien Cheval, contrôleur fiscal bête et méchant. Ainsi, quand le détail devient métonymie de votre personnage, vous pouvez être sûr d’avoir trouvé une façon quasi unique de le rendre mémorable. - Sélectionnez des éléments à mettre en avant de son histoire personnelle : personne n’aime voir un personnage raconter sa vie pendant une demi-heure, par contre, il peut être intéressant de donner du relief à un personnage en exposant quelque chose de son passé qui soit intéressant pour l’histoire. C’est ce que les Américains appellent la Backstory. Le secret pour le faire de façon naturelle est d’intégrer l’exposition du passé de votre personnage dans l’action pour ne pas ralentir le récit. Bien évidemment, le passé doit avoir un lien avec le présent. Dans Homeland, le personnage de Carrie, un agent de la CIA, cherche compulsivement à arrêter des terroristes.
On apprend rapidement qu’elle est bipolaire et paranoïaque et comment elle a dû cacher sa maladie à son entourage professionnel. Le fait que son activité principale soit de chercher la vérité dans le mensonge permet donc à la fois de faire surgir les démons de son passé, tout en exploitant habilement sa caractérisation. Cet outil peut vraiment être très puissant pour propulser votre personnage vers son objectif, tout en l’obligeant à combattre ses failles présentes et passées. Avec cet outil, il vous faut prendre garde de vous servir des éléments passés pour faire avancer l’histoire que vous racontez au présent.
Que retenir ?
En fonction des différents outils cités ci-dessus et il y en a encore bien d’autres à votre disposition comme le milking par exemple (cf. notre service d’analyse détaillée qui vous explique comment utiliser la technique du milking en scénario) que je n’ai pas détaillé ici, vous pouvez faire votre choix pour nourrir vos personnages principaux. Le mieux n’est ici pas l’ennemi du bien. Plus vous aurez pensé vos protagonistes, plus vous aurez intégré chaque composante de la liste ci-dessus dans leur caractérisation et dans vos intrigues, plus vous aurez de chances de les rendre emblématiques et intéressants pour un auditoire. Vous aurez saisi aussi la différence avec un personnage secondaire qui n’utilise que quelques-unes de ces caractéristiques alors qu’un protagoniste peut toutes les explorer. À vous de jouer.
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