Comme beaucoup, j’ai été surprise et triste d’apprendre la mort de Tony Scott, surtout dans ces circonstances bizarres et brutales. C’est alors que j’ai réalisé à quel point ce grand cinéaste, peut-être trop dans l’ombre de son frère pour le grand public, a contribué à mon univers créatif. J’ai vu et revu la plupart de […].
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Comme beaucoup, j’ai été surprise et triste d’apprendre la mort de Tony Scott, surtout dans ces circonstances bizarres et brutales. C’est alors que j’ai réalisé à quel point ce grand cinéaste, peut-être trop dans l’ombre de son frère pour le grand public, a contribué à mon univers créatif.
J’ai vu et revu la plupart de ses films et j’attendais chaque année son nouvel opus en me régalant d’avance. Les nécro ne manquent pas pour rappeler ses plus grands films, des plus populaires au plus intimistes, je vous mets quelques liens sur les plus documentées, mais j’ai pensé qu’une synthèse de plusieurs interviews pourraient nous donner une bonne idée de sa façon de voir le cinéma.
Tony Scott l’a répété plusieurs fois, il aimait faire des films
Ayant eu toujours le choix, il a pu tout au long de ses trente ans de carrière réfléchir très précautionneusement à ceux dans lesquels il allait s’investir corps et âme. Souvent réduit à son esthétique clippée venue de ses années de pubard, Tony Scott nous lègue une filmographie riche et dense. Même si beaucoup de ses films ont été calibrés comme des blockbusters, ils n’en restent pas moins des films d’un auteur avec une certaine vision du monde et des convictions profondes sur l’humanité et beaucoup de high concepts.
Pour vous exercer à trouver vous aussi des high concepts, n’hésitez pas à vous reporter au chapitre dédié et à commencer par le cours sur le high concept, voie royale pour vendre un scénario.
Grand amateur du divertissement, il est l’un des rares à avoir mêlé les deux sans se mélanger les pinceaux avec un savoir-faire précieux dont voici quelques recettes qu’il a bien voulues partager avec nous :
- Un amour inconditionnel pour les vrais héros : « what always leads me in terms of my movies are characters. »Tony Scott l’a beaucoup répété, il a toujours travaillé avec ce qu’il appelait des « role models » pour ses auteurs. Ce sont des gens du monde réel qui donnent de la densité au personnage. Avec un script en main, il n’en changeait pas la structure, mais il utilisait ses recherches et sa documentation pour le guider et filmer au plus juste une réalité sous-jacente. Ses héros ont tous existé, que cela ait été officiel ou pas. Il s’est toujours inspiré de vraies personnes. C’est de ce jeu permanent entre fiction et réalité que seul permet le cinéma, que Tony Scott a tiré l’essentiel de ses motivations à faire des films. Grâce à ses personnages, il a pu explorer des mondes qui lui étaient fermés tout en étant très bien payé pour. L’un des rares peut-être à faire partie du système hollywoodien et à y trouver du fun. Quand on pense que Jerry Bruckheimer l’a supplié par trois fois de faire Top Gun !
- Un respect mutuel avec ses acteurs : « there is a shorthand, but there’s a terrible, old-fashioned word called ‘respect’ »À la fin de sa carrière, Tony Scott avait fait de Denzel Washington, l’un de ses acteurs préférés. Lorsqu’il s’exprimait sur cette relation de respect et d’amitié, il mettait en avant une collaboration ancrée sur une vision commune du cinéma. Tony Scott avait l’obsession de son personnage principal, tout comme Denzel Washington. Il a su tirer de l’acteur des personnalités différentes pour USS Alabama (Crimson tide), Man On Fire, Déjà vu, L’attaque du métro 123 et le dernier en date Unstoppable. C’est comme ça qu’il voyait la direction d’acteurs, en allant chercher dans la personnalité de ses acteurs ce qui pouvait correspondre à son personnage. D’après Tony Scott, Denzel Washington a la rare qualité de pouvoir aller chercher différents aspects de sa personnalité pour communiquer ce qui lui est demandé, sans même avoir besoin de parler.
- Une caméra toujours en action : « maybe I move it more than I should, but that’s the nature of the way I am. »La caméra est censée retransmettre de l’énergie pour Tony Scott. C’est ce qui rend son cinéma aussi excitant. Pour lui, c’est aussi ce qui densifie l’axe dramatique. Il utilise le champ visuel pour faire monter la sauce, d’où une multitude de caméras pour faire quelques prises. C’est d’ailleurs ce que les acteurs aiment chez lui à son propre aveu. Cette utilisation saturée de l’image est aussi ce qui fait son plaisir en tant que réalisateur et ce qui l’a poussé à choisir un film plutôt qu’un autre. Pour L’attaque du métro 123, l’essentiel du film se passait dans une conversation téléphonique entre deux personnages. Son challenge était de la rendre aussi tendue que possible, tant au niveau de l’écriture, qu’au niveau du jeu d’acteurs. Une double exigence qui lui a toujours permis d’obtenir un résultat à l’écran. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles, il a souvent choisi des lieux emblématiques pour tourner ses films. Mettre ses acteurs dans un environnement réel, México pour Man on Fire ou dans une cabine de train pour Unstoppable, a toujours donné à son avis plus de force à ses films.
- Un homme inspiré : « I’m a plagiarist —I always look back at other movies and I steal, but I steal well, and I reinvent. »Dans ses films, Tony Scott a souvent fait de ses arènes (approfondissez cette notion avec le cours écrire une série tv, les quatre ingrédients d’une bonne bible de série), de véritables personnages.
Dans L’attaque du métro 123, Tony Scott avoue par exemple s’être beaucoup inspiré de Koyaanisqatsi, un film de Godfrey Reggio produit par Francis Ford Coppola. Il voulait faire un portrait de New York qui puisse être différent de tout ce qu’on avait déjà vu. En s’inspirant du documentaire, Tony Scott a ainsi travaillé sur les ellipses temporelles pour être capable de nous faire ressentir la pression et l’angoisse que peut générer New York et ce, dès le générique de début. - Un rapport compliqué à son frère : « If Ridley and I worked together on the set we’d kill each other. »Tony Scott expliquait que son frère et lui avaient débuté ensemble à Hollywood il y a plus de 45 ans et que leur fraternité avait été plutôt une force qu’une faiblesse. Tony Scott voyait dans leur relation comme un bras droit et un bras gauche d’une même personne. Ils ont construit par ailleurs leur société de production ensemble (Scott Free Productions) ainsi qu’une société de distribution (RSA). Dans leur relation, Tony Scott se voyait comme le travailleur du quotidien, tandis qu’il voyait son frère comme le plus agité des deux, toujours à être à l’avant du bateau. Il savait qu’on lui reprochait beaucoup sa forme plutôt que le contenu, alors que son frère avait droit à tous les honneurs pour ses films à la mouvance plus classique comme Alien, le huitième passager, Blade Runner ou Gladiator. Dans une interview, Tony Scott espérait que ses films entreraient un jour dans les rangs des classiques de cinéma. L’avenir lui donnera surement raison.
- Un style spécifique fait de techniques de montage alterné, chronologies bousculées et de ralentis appuyés : « everything in the way I shoot the movie is dictated by the world when I touch it. »Domino est un bon exemple de son style si particulier. Tony Scott disait que son film ressemblait à un disque rayé et que sa façon de filmer lui était directement inspirée par ses recherches. En peignant des chasseurs de prime cocaïnés jusqu’à l’os, drogués à la métamphétamine, il avait voulu explorer et filmer cette dimension du monde qu’il explorait. Il n’était pas vraiment satisfait du résultat pourtant, regrettant de s’être laissé emporté par son sujet en empêchant le film de respirer.
- Une des têtes de turc des critiques : « we were criticized, we being the Brits coming over, because we were out of advertising —Alan parker, Hugh Hudson, Adrian Lyne, my brother— we were criticized about style over content. »Ses premières années à Hollywood ont été difficiles dans les années 1980. Après Top Gun, sur lequel les critiques ont beaucoup tapé, insistant sur son côté homo refoulé, Tony Scott a beaucoup travaillé avec Jerry Bruckheimer qui cherchait une nouvelle façon de faire du cinéma. Ils ont fait six films ensemble (Top Gun, Le Flic de Beverly Hills II, Days of thunder (Jours de tonnerre), USS Alabama, Ennemy of the state (Ennemi d’état), Déjà-vu), car Bruckheimer a toujours apprécié ses choix artistiques malgré une presse horrible envers lui. Depuis, Scott a appris à ne plus lire aucune critique.
- Une noirceur au fond de chaque personnage : « there’s always a dark side to my characters. »Peut-être que ce dernier élément peut expliquer sa fin tragique en elle-même. Tony Scott disait que tous ses personnages avaient un squelette dans le placard et c’est ce qu’il aimait chez eux. Que ce soit le personnage de Bruce Willis dans le Dernier samaritain, ou encore Denzel Washington dans tous leurs films communs. La peur était selon Scott dans tous ses films. Il relatait que la chose la plus effrayante qu’il faisait chaque matin était de se lever pour faire des films. Il était toujours réveillé une heure ou deux avant son réveil par l’appréhension. C’est cette peur qui le motivait et qu’il avait même fini par apprécier. Alpiniste dans ses loisirs, quand il avait terminé un film, il pouvait faire quelques ascensions pour ressentir à nouveau cette peur, celle d’être suspendu dans le vide. Cette peur du vide est tangible, matérielle, elle est ou n’est pas, vous ne pouvez pas la ressentir à moitié. L’autre peur est plus insidieuse, abstraite et plus effrayante encore.
Peut-être cette dernière peur l’a emporté. Personne ne saura jamais. Il nous reste ses films et quelques témoignages. Tony Scott se disait chanceux d’avoir toujours pu choisir ses films et d’avoir eu l’opportunité d’en faire dans de bonnes conditions. Même s’il pouvait regretter de ne pas les avoir réussis tous autant qu’il espérait, il n’en aurait pas retiré un seul de sa filmographie. Les témoignages d’Hollywood montrent à quel point il était apprécié, tant par sa personnalité douce et respectueuse que pour ses choix innovants et son esthétique si particulière. À 68 ans, il lui restait encore certainement de beaux films à faire, il en a décidé autrement. Je garde pour ma part une préférence pour True Romance, son premier film hollywoodien The hunger (Les prédateurs) et l’un des films préférés de Cédric, Spy Game, à voir de toute urgence si ce n’est pas déjà le cas.
Pierre-Antoine Favre
Bel hommage au regretté Tony Scott.
Je me souviens m'être dit juste après avoir vu Unstoppable : ce film ne nous épargne aucun poncif du film pop-corn américain pur jus, mais bon sang, qu'est-ce que c'est bien fait !
Les fines bouches peuvent toujours critiquer Top Gun, c'est un film qui dégage une vitalité peu commune. Et pour avoir vu Crimson Tide (USS Alabama) jeune au cinéma, c'est vraiment un de mes meilleurs souvenirs d'une séance de ciné où on ne s'ennuie pas une seule seconde. Si un jour je pouvais pondre un scénario aussi prenant… pas de refus !
Pour ma part, j'avais beaucoup aimé Déjà Vu et surtout Spy Game, impressionnant de maîtrise à tous les niveaux (scénario/histoire, mise en scène, acteurs…).
C'est vrai que Tony Scott a souvent souffert de la comparaison avec son frère, le premier décrit comme une sorte de tâcheron face au génie visuel du second. Pourtant, sa filmographie est considérable… quelle tristesse d'apprendre qu'elle ne continuera pas.
High concept
@Pierre-Antoine : en effet, si certains critiques n'ont pas vu la très grande qualité objective de certains films du grand Tony et notamment ceux que vous citez, les spectateurs, eux, ne s'y sont pas trompés, ni Hollywood d'ailleurs cf. l'ensemble des projets en cours du cinéaste. C'est juste triste.
Fabrice O.
Je crois que l'une de ses forces, c'est d'avoir su s'entourer de scénaristes stars. Shane Black, Quentin Tarantino, Brian Helgeland.
Même si consciemment ce n'était pas le réal que je citais dans ma liste de réal préférés, je dois avouer qu'il m'a influencé. Je lui ai piqué son style d'étalonnage qu'il a utilisé dans Domino. Avec lui j'ai commencé à apprécier les couleurs saturées.
Au revoir M. Scott.
High concept
La citation n°4 est une preuve d'humilité touchante ; une qualité rare dans le cercle très fermé des réalisateurs de ce calibre. RIP M. Scott :'-(
Figaro
merci de ton passage sur mon blog, c'était un cinéaste de grand talent et comme tu dis, Hollywood ne s'y est pas trompé.
Une fin triste et tragique !
Merci pour ce très bel article !
Fabrice O.
Très bonne interview de Joel Silver producteur du Dernier Samaritain. Bon pour le coup ça n'a pas trop à voir avec feu Tony Scott. Désolé ! -_^
http://www.capturemag.net/sur-ecoute/sur-un-plateau-dargent/