En 1990, les scénaristes ont la cote à Hollywood. La spéculation fait rage sur les scénarios « prêts à tourner », en réaction au développement « sans fin » des studios.
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L’année 1990 figurera longtemps dans les annales du cinéma américain comme celle du spec script (de spéculative script, sorte de « coup de bourse » scénaristique). Plus d’une douzaine de scénarios qui n’ont pas été écrits sous contrat mais dans un but de spéculation, ont été adjugés au plus offrant, faisant gagner aux scénaristes (figure traditionnellement mineure du panthéon hollywoodien) des sommes as-tro-no-miques pour leurs œuvres.
En Avril, la Geffen Film Company a acheté The Last Boy Scout de Shane Black pour la coquette somme de 1,75 million de dollars. Deux mois plus tard, Carolco (qui appartient en partie à Canal plus) a payé 3 millions de dollars pour Basic Instinct, de Joe Eszterhas.
Le développement est un poison: voici l’antidote !
Ces enchères fabuleuses découlent directement de la manière frustrante dont on écrit les scénarios à Hollywood depuis plusieurs années. Dans le décevant processus de « développement » qu’affectionnent particulièrement les studios (surnommé « L’enfer du développement »), les auteurs apportent idées ou synopsis et sont ensuite engagés par les studios pour écrire des scénarios qui ne parviennent que très rarement à devenir des films. Au terme d’infinies réécritures, l’auteur d’origine se trouve même souvent remplacé, son idée originelle abâtardie, et le produit final devient un hybride difficilement reconnaissable. En écrivant directement un « spec script », l’auteur parvient à un contrôle sur sa propriété artistique.
Deborah Raznick, scénariste et productrice, alors en développement aux studios Disney depuis six ans (après avoir écrit un synopsis original il y a plus de huit ans) rapportait :
« Aujourd’hui, l’histoire ne ressemble que de très loin à celle que j’avais commencé à écrire, et nous n’avons toujours pas de scénario définitif. Ce qui arrive immanquablement dans le processus de développement, c’est qu’au commencement il y a une personne avec un concept et que quinze jours après l’avoir proposé à un studio, on se retrouve à six personnes avec chacune une idée différente. L’année suivante, ces six personnes sont devenues douze et l’on se retrouve soudain assise à une table, en train d’écouter onze autres personnes qui discutent d’un concept qui, un an plus tôt, fonctionnait merveilleusement, et qui ne marche absolument plus » [1].
[1] Propos recueillis par Andrea R. Vaucher pour le Los Angeles Times (in : Cahiers du cinéma n° 440, février 1991).
Un spec script a également beaucoup plus de chances d’être tourné qu’un scénario qui végète des années en développement.
Un Shane Black de 28 ans (il a écrit le scénario de Lethal Weapon à l’âge de 22 ans) déclare au New York Times : « Les studios ont tendance à faire les films tirés de gros coups d’argent. Un script en développement perd de sa dynamique. Cela fait un an que le studio voit votre sale gueule, et soudain apparaît le nouveau petit génie, la sensation du jour. Les studios n’ont qu’une capacité d’attention très limitée. »
A l’époque, pratiquement tous les spec script sont des films de genre fondés sur un concept très pointu : thriller « sexy », action ou science-fiction, dont l’intrigue peut se résumer en une phrase très facile à retenir. Le fameux high concept (qui donne son nom à notre méthode).
« L’homme sage est celui qui connaît ses limites »*
C’est à la fin de l’année 1989 que les prix des spec script ont crevé le plafond, lorsque Peter Guber et Jon Peters ont repris les rênes de Columbia/Tri-Star et qu’ils se sont mis à acheter des scénarios à tout-va alors que la grève des scénaristes de l’année précédente avait déjà placé ce corps de métier dans une situation particulièrement confortable.
Quand Guber et Peters achetèrent 1,25 million de dollars Radio Flyer, écrit par un scénariste nouvel entrant, David Mickey Evans, qu’ils engagèrent également pour la mise en scène (et qui finit par se faire renvoyer), ils firent grande impression à Hollywood.
Les enchères furent très intelligemment orchestrées par les agents qui mettaient dos à dos studios et producteurs dans une course rendue d’autant plus haletante qu’une décision devait être prise dans les 48 heures. Et si la plupart de ces scénaristes sont jeunes, ambitieux, et fraîchement diplômés d’une école de cinéma, la plupart des acheteurs sont de jeunes compagnies agressives (Largo, Carolco, Morgan Creek…) ou des studios qui viennent de subir des changements de direction et qui ont un besoin impérieux de se jeter dans la production.
En effet, à mesure que les enchères montent, les vieilles institutions (Disney, Paramount, Warner Brothers…) se retirent de la course. Elles pensent que, finalement, le développement est plus efficace en terme de coûts et qu’il permet une plus grande variété de sujets et il semblerait que cette tendance soit de retour aujourd’hui à Hollywood.
Pouvons-nous espérer que cette explosion du spec script arrive un jour jusqu’à nous en France ?
C’est en tout cas notre plus grand souhait à tous, chez High concept. Car comme le fait remarquer ma collègue Julie Salmon, le contenu devient la seule façon d’exister dans un PAF de plus en plus concurrentiel.
A bientôt sur le blog 🙂
* L’homme sage est celui qui connaît ses limites est la dernière réplique de Clint Eastwood dans la suite de L’Inspecteur Harry, Magnum Force.
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