Le cinéma peut-il s’apprendre à l’école ? Une longue histoire qui fait aujourd'hui des écoles de cinéma, un passage obligé pour tout jeune scénariste et cinéaste.
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Les écoles de cinéma et les organismes professionnels de formation auxquels High Concept participe (étant nous-même à la fois école dépositaire d’une méthode d’écriture et intervenant pour divers organismes professionnels du secteur) sont aujourd’hui un passage obligé pour tout futur scénariste et/ou cinéaste. Mais cela n’a pas toujours été le cas.
Les premiers temps des autodidactes
Autrefois, le cinéma du temps des pionniers était livré au pragmatisme et à l’invention totale, autrement dit à l’apprentissage sur le tas. Monsieur Griffith consomme trois cents courts métrages avant de faire son premier long métrage et la légende raconte qu’Orson Wells s’est enfermé dans une salle obscure et a visionné plus de cinquante fois la chevauchée fantastique de John Ford afin d’inventorier toutes les figures grammaticales.
Années 1950 : l’école de la critique
En France, en particulier, ce sera l’école de Louis Delluc, Marcel Lherbier, Marcel Carné, Georges Franju…ou encore l’école cinéphilique style Renoir. Celui-ci subit l’influence de Stroheim, et n’ayant pas de problèmes financiers (grâce à l’héritage des tableaux de papa), peut se produire lui-même.
Mais l’école critique, la plus importante en terme de répercussions sur la façon d’apprendre le cinéma sera celle des cahiers du cinéma. Ces derniers refusent d’ailleurs absolument l’idée même de l’école de cinéma. L’IDHEC existait à l’époque mais, en dehors de Godard qui s’y est présenté et a été recalé (la légende prétend que sur sa copie on lisait l’annotation « ne sait pas écrire le Français »), aucun des futurs cinéastes n’envisageait même d’entrer dans cette école. C’était l’injure suprême ! trop scolaire, trop livresque ! Les grands documentaristes qui ont fait l’école en sont partis au bout de six mois ou un an, en particulier Alain Resnais ou Louis Malle.
À L’époque, le cinéma est une réflexion et exige un rapport direct de soi au cinéma et non pas des connaissances scolaires.
Années 1960 : les écoles de cinéma américaines
Ce qui va devenir important aux alentours de 1965, c’est le développement des écoles de cinéma aux USA. Tout le monde outre Atlantique commence à passer par ces écoles car c’est le meilleur moyen et le plus rapide pour accéder aux postes de commande, c’est-à-dire en arriver à la mise en scène.
D’autre part, plus en profondeur, le cinéma a achevé sa période de classicisme.
Donc, dans les années 60, l’école de cinéma permet de regarder à la loupe, c’est-à-dire à la table de montage, ce qui a été fait précédemment, de savoir que le modèle est mort mais qu’il conserve encore assez de force, de séduction et en même temps d’intelligence pour être appris et, en connaissance de cause, réutilisé en citation, en référence, en point d’appui.
À ce moment-là, l’école de cinéma devient un instrument véritable de création.
Fin des années 1970 : la nouvelle vague
Vers la fin des années 70, une nouvelle génération reproduit ce qui s’est passé en Amérique dix ou quinze ans auparavant. A partir de là, l’école de cinéma devient le moyen de se resituer en fonction du cinéma, en apprenant le cinéma ancien pour le réadapter, le réutiliser, le réinjecter immédiatement dans le cinéma moderne.
Quand la nouvelle vague démarre, elle n’a que cinquante-cinq ans de cinéma derrière elle. Ce n’est donc pas difficile à l’époque d’ingérer l’histoire du cinéma. Cela va très vite.
Aujourd’hui, un jeune qui arrive dans une école de cinéma a plus d’une centaine d’années de cinéma à assimiler. C’est beaucoup plus difficile. Donc, il restera plus en surface, et de la surface, il prélèvera les éléments qui lui conviennent. À ce moment, il a un bagage conséquent mais qui le concerne beaucoup moins, qui est moins dans sa substance et sa chair que ne l’était le cinéma précédemment.
Un Godard et un Truffaut vont certes révolutionner le cinéma mais ils ont l’impression de continuer le classicisme cinématographique. Alors qu’aujourd’hui, on sait d’emblée que ce cinéma est mort, qu’il est intéressant à titre de curiosité ou de pièce de musée, mais on n’est plus vraiment en prise directe avec lui pour la création.
Les écoles de grands réalisateurs
Il est un cinéma qui prouve au contraire l’importance qu’ont prise les écoles officielles (les seules réellement valables car elles exigent de grands moyens financiers) c’est le cinéma italien. On y voit cette école confiée à Rossellini, avec le génie mais aussi le désordre Rossellinien. C’est-à-dire un « faites ce que vous voulez ! » sur fond de « soixante-huitardisme » panique. Résultat : une école que l’on ferme, ce qui n’a peut-être pas été sans conséquence sur le déclin du cinéma italien.
Le seul cinéaste italien digne de ce nom depuis 68, Moretti s’est fabriqué sa propre école de cinéma comme le pionnier du temps de Griffith. Tels des « Rimbaud I, II, III, IV », il rejoint Jean Vigo, Jean Eustache ou le singulier Garrel des années 68.
Garrel a imaginé la meilleure école de cinéma qu’il lui aurait fallu. Moretti a fait la même chose.
Années 1980 : l’IDHEC
Chez les Allemands et les Anglais, le cinéma a redémarré grâce aux écoles de cinéma. Quelqu’un comme Wenders est le meilleur qu’une école de cinéma puisse produire.
Comme Resnais qui, d’une certaine façon même et surtout s’il en a claqué la porte, reste un des plus beaux fleurons de l’IDHEC. Il y a eu, au début des années 80 à l’IDHEC, une bande des quatre avec Éric Barbier, Christian Vincent, Éric Rochant et Arnaud Desplechin. Il s’est passé le même phénomène que pour la nouvelle vague sauf que l’IDHEC avait remplacé la cinémathèque du temps ou elle était la véritable école du cinéma. Quatre garçons se trouvent dans un même lieu, se sentent des affinités, immédiatement se groupent et ne travaillent qu’entre eux, se fabriquant leur esthétique, leur but, leur fonction. Et ce groupe sera, lui aussi, destiné à éclater.
Les écoles de cinéma aujourd’hui : imiter pour trouver son propre style
Les écoles reproduisent donc ce qui se faisait jadis sur d’autres lieux et d’autres terrains. En réalité, les circonstances économiques font qu’elles apportent le maximum de possibilités aujourd’hui pour un futur cinéaste. Ce qui ne veut pas dire que les écoles en soi ne sont pas critiquables.
Certains regrettent, par exemple, le virage pris par la FEMIS ces dernières années vers l’optique télévision au détriment du cinéma.
Le défaut d’une école de cinéma, ou sa qualité, est quand même d’avoir tendance à être imitatif et à pousser à la récréation à partir de l’imitation.
Godard, Truffaut, Rohmer ont imité.
On connait leurs modèles. Pour Truffaut, Vigo et Renoir, pour Godard pratiquement tout le cinéma dont la série B, Barnet, Griffith et pour Rohmer, plutôt Murnau.
À partir de cette imitation, ils n’essaient pas de copier. Ils cherchent d’emblée à refaire quelque chose de neuf et d’original à partir du modèle. Et, en même temps, le modèle est pratiquement effacé dans la création elle-même. Alors que ce qu’on peut dire des films d’école, c’est qu’on y sent, on y voit la référence.
Spielberg en est l’exemple le plus absolu. On sent que chez De Palma, il y a volonté de décortiquer sur la table de montage, le film d’Hitchcock, le film de Hawks, le film d’Eisenstein…et de faire ce fameux exercice des écoles de cinéma : prenez une séquence et refaites en le montage. Déconstruire et reconstruire. De Palma en a fait un mode de création original. De cet exercice d’école, il a fait quelque chose de fort et de complètement neuf, et c’est en quelque sorte ce que High Concept essaie de reprendre quand lors d’une masterclasse nous décortiquons le script de Witness de Peter Weir afin de mettre en évidence les caractéristiques du genre complot (thriller), lorsque nous analysons la scène finale de Sixième sens de M. Night Shyamalan entre Cole (Haley Joël Osment) et Lynn (Toni Collette), sa mère, pour comprendre le fonctionnement et les rouages d’un drama ou de quelle façon le personnage principal affronte sa faille lors du climax.
Conclusion
Comprendre pour reproduire efficacement sans jamais plagier ni recopier.
Les techniques scénaristiques tout comme les techniques cinématographiques en général ne sont pas des secrets de famille inaccessibles destinées à demeurer l’apanage d’un cercle d’initiés. Elles sont là pour être comprises, enseignées et appliquées par toute bonne école ou organisme de formation qui se respecte comme High Concept.
Je vous invite d’ailleurs à venir le vérifier par vous-même lors de nos prochaines masterclasses. A bientôt sur le blog !
Lola T
Article intéressant mais malheureusement un peu faussé sur sa prémisse (et notamment son titre) : aujourd’hui encore, les écoles de cinéma ne sont en rien un passage obligé. Il est vrai qu’elles facilitent les choses pour trouver de l’emploi par la suite, et si elles aident indéniablement à se créer un réseau. Mais aujourd’hui encore, de très nombreux techniciens du cinéma et auteurs n’ont pas fait d’école (ni FEMIS ni école payante) et ont appris sur le tas, et se débrouillent extrêmement bien pour trouver du travail.
Je n’ai personnellement fait aucune école, et je suis intermittente travaillant dans le long métrage depuis 7 ans, renouvelant mon statut tous les ans sans problème, et je rencontre beaucoup de techniciens et même de scénaristes dans mon cas.
Je connais notamment de nombreux producteurs qui préfèrent même un CV d’un jeune avec une bonne expérience sur le terrain plutôt qu’un jeune sortant d’une école privée, qui sont parfois dévalorisées aux yeux des employeurs ou qui peuvent conférer une image (pas forcément vraie, mais le cliché est là) de fils à papa.
Une école n’est donc pas une nécessité pour travailler dans le cinéma, c’est une question de choix et de stratégie de formation. On peut très bien s’en sortir sans avoir fait la Femis ou sans avoir 7000e par an à mettre dans une école payante 🙂
Vincent Hovasse
Bonjour Lola,
Tout d’abord merci de l’intérêt porté à mon article et désolé que le titre et le contenu du « chapeau » aient pu vous heurter. Les termes « méprisées » et « obligé » ont été délibérement et personnellement choisis pour susciter la curiosité du lecteur et en aucun cas par souci de provocation.
Loin de moi l’intention de dénigrer les compétences des
autodidactes de notre profession, très nombreux et peut-être même encore majoritaires dans le métier, que j’ai eu l’occasion de cotoyer durant mes études et années d’intermittence.
Si vous prenez le temps de relire mon article, vous noterez surement que son objectif premier n’est en aucun cas d’opposer deux statuts d’apprentissage différents ( et finalement proches dans leur finalité) mais d’insiter sur l’utilité et l’intérêt sans cesse croissants des écoles de cinéma et organismes de formation en général, tout en insistant sur les différents courants qui ont conduit à leur développement et à l’importance qu’ils occuppent aujourd’hui dans le paysage audiovisuel français et sans oublier, bien sur, de souligner leur rôle primordial dans la transmission du savoir.
J’ai personnellement beaucoup appris des nombreux techniciens et autres professions issus du milieu autodidacte durant mes études et ensuite dans mon activité professionnelle. Notre but chez high-concept est avant tout de pouvoir travailler ensemble et de partager savoir et expérience pour mieux progresser, et c’est ce que nous essayons de faire, entre autre, lors de nos master-class.
Vous serez d’ailleurs la bienvenue si, un jour, désireuse de développer un projet, nos conseils peuvent vous être utiles.
En attendant, merci encore de m’avoir lu et à bientôt sur le blog… 🙂
Vincent Hovasse, HC.