Comment interpréter les retours de lecture à vos envois de scénarios ? Question délicate pour tous les auteurs, quel que soit leur niveau d’expérience. Certains retours de lecture sont désarçonnants et les raisons invoquées pour justifier un refus sont parfois obscures ou tout simplement surprenantes.
10 MIN. DE LECTURE
Comment interpréter les retours de lecture à vos envois de scénarios ? Question délicate pour tous les auteurs, quel que soit leur niveau d’expérience. Certains retours de lecture sont désarçonnant et les raisons invoquées pour justifier un refus sont parfois obscures ou tout simplement surprenantes. Comment les décrypter ?
Ayant une expérience en la matière (cf. mon CV et mes références en matière de scriptdoring et de conseil littéraire), ayant dû moi-même parfois faire des réponses circonstanciées à des collègues (au nom des producteurs pour lesquels je travaille), je vous propose aujourd’hui de créer pour vous un guide de compréhension des retours les plus fréquemment utilisés par vos lecteurs et partager ainsi mon retour d’expérience avec vous.
- Ils adorent ou détestent : quoi en déduire ?
- Ils ont des BUMPS : quoi en déduire ?
- Ils ne comprennent pas des éléments de l’histoire : quoi en déduire
- Ils ont des problèmes de rythme : quoi en déduire ?
- Vous n’obtenez aucune réponse : quoi en déduire ?
- N’oubliez jamais que ce que vous envoyez vous définit et est une autre image de vous-même. Quand un professionnel prend du temps pour lire un projet, ses attentes sont grandes car son temps est précieux. Mieux vaut ainsi ne pas envoyer que d’envoyer un projet qui n’est pas abouti, ou sur lequel vous n’avez pas assez travaillé. Un envoi est une opportunité de travail, ne la gâchez pas car si vous vous loupez, si votre travail est mauvais ou à un niveau non professionnel, vous avez gâché toutes vos chances futures avec le producteur en question. Les bons projets ne s’écrivent pas sur un coin de table et il ne suffit pas d’une bonne idée pour faire un scénario.
- Ne négligez jamais aussi ni l’orthographe, ni la forme, ni votre présentation. Personne n’a envie de travailler avec des amateurs. Gardez toujours cela à l’esprit quand vous vous adressez à des professionnels.
- Enfin, présentez-vous ainsi que votre travail toujours sous leur meilleur jour. Votre mail d’envoi doit être impeccable, votre document bien présenté avec une police lisible, aérée, etc. Vous aurez ainsi les meilleures chances d’attirer l’attention et de motiver votre interlocuteur à vous prendre au sérieux (la négociation de vos contrats n’en sera que plus facile…).
- On vous reproche un côté daté, peu actuel, bref un manque de modernité : quoi en déduire ?
- Votre projet ne correspond pas à la ligne éditoriale du producteur : quoi en déduire ?
- Votre projet manque de potentiel d’adhésion, n’est pas convainquant : quoi en déduire ?
- Votre projet n’est pas adapté au marché : quoi en déduire ?
- On vous reproche un manque d’originalité : quoi en déduire ?
- On vous reproche un manque de crédibilité de l’histoire : quoi en déduire ?
Vous avez cédé à l’envoi au premier cercle : l’entourage non professionnel. Nous commençons tous généralement par notre entourage proche : amis, conjoints, famille, fans… Bien évidemment, ces premiers lecteurs sont rarement objectifs et/ou pertinents pour nous donner un retour constructif.
Bref, ce genre de commentaires est complètement inutilisable. Cela peut vous flatter ou vous démoraliser dans le pire des cas mais cela ne vous donne jamais aucune piste concrète pour déterminer le niveau de votre projet. Envoyer un projet à vos proches n’est donc jamais une bonne idée, car en tant que non professionnels du scénario, ils ne sauront tout simplement pas comment lire votre projet et vous donner un avis pertinent (utilisable). Même les personnes que vous avez identifiées comme étant les plus cultivées ou habituées à aller au cinéma, au théâtre, ne sauront pas comment décrypter des intentions de dialogue, ou visualiser une scène. Cela est un véritable métier : le vôtre.
Qu’ils soient professionnels ou pas, ce type de retour est intéressant pour comprendre là où vos lecteurs ont été gênés. C’est ce que les américains appellent des BUMPS de synopsis (cf. masterclass vidéo dédiée à l’écriture du synopsis). C’est précisément là où la lecture s’arrête, là où les lecteurs sortent de l’histoire. Quelque chose n’a pas fonctionné pour eux, et en tant que créateur du projet, vous saurez que c’est probablement à cet endroit que vous devrez gérer le problème. Vos lecteurs n’auront probablement pas assez d’expérience pour vous dire exactement ce dont il s’agit (problème de rythme, de structure, de personnages, de logique, etc.) mais ils auront pointé un bump que vous devrez supprimer.
Un lecteur suffisamment expérimenté vous pointe avec cette incompréhension un manque de logique ou d’information dans votre scénario. Quand nous avons parfois passé beaucoup de temps à travailler sur un projet, nous n’avons plus le recul suffisant pour doser le niveau d’information nécessaire au lecteur. Ou bien, il peut s’agir d’erreurs de logique liées à votre break-down d’épisode (cf. masterclass vidéo dédiée), il vous faudra ainsi reprendre votre scénario au niveau du séquencier pour remodeler les briques de votre histoire et vérifier qu’elles s’enchaînent bien comme des dominos. Prenez ainsi toujours en considération les remarques qui commencent par POURQUOI : même si vous pensez avoir suffisamment expliqué telle ou telle action, ou tel ou tel personnage, ce type de question vous indique tout simplement qu’il vous faut l’expliquer davantage. De l’information personnage perceptible dès le pitch du 1 de votre 1-2-3 (cf. masterclass dédiée à l’écriture du concept) manque surement à votre exposition.
Si vous avez l’habitude d’envoyer à des amis acteurs par exemple, ces derniers auront de bons atouts pour juger l’efficacité de votre scénario. Un scénario qui se lit bien, s’entend bien de la même façon. Ces indications vous permettent de vous intéresser au RYTHME. Ces retours vous permettront d’améliorer votre style et d’avoir un pré-jugement sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Il est important de tenter d’entendre concrètement comment ils vont prononcer vos dialogues, interpréter vos intentions.
Si vous écrivez de la comédie par exemple et que vous n’entendez aucun rire à la lecture de votre synopsis ou continuité, vous pouvez légitimement vous inquiéter. A contrario, les rires que vous entendrez pointeront directement sur ce qui est drôle et ce sur quoi vous pouvez vous appuyer pour réécrire.
Vous avez repéré des sociétés de productions qui produisent des projets qui vous ressemblent et avez envoyé dans les formes demandées par le marché (une bible de série ou un synopsis d’unitaire, ou encore un scénario de long-métrage de cinéma avec note d’intention). Au bout de deux semaines suivant votre envoi, vous n’avez toujours aucune réponse.
Je vous renvoie à mon billet dédié envoyer un scénario : comment être lu.
Soit le producteur en question n’a pas d’interlocuteur dédié pour lire concrètement votre projet, soit il n’est pas en recherche, soit il ne lit pas d’auteurs qu’il ne connait pas, soit votre projet ne l’intéresse pas et il n’a pas le temps de vous faire une réponse. Bref, dans tous les cas de figure, vous n’avez pas suscité assez d’intérêts et vous ne rentrez pas dans ses critères de recherche.
Le mieux pour vous est alors, soit d’appeler directement pour confirmer les hypothèses ci-dessus et comprendre ce qui n’a pas fonctionné, soit d’abandonner et de trouver un autre interlocuteur. Inutile d’insister en renvoyant le projet, ou d’argumenter dans le cas d’un refus même non motivé.
Petits avertissements :
Souvent les productions recherchent à surfer sur l’actualité, à proposer des projets en adéquation avec ce qui préoccupe les français tout en suivant les lignes éditoriales des diffuseurs pour lesquels ils travaillent. Il faut qu’ils puissent tout simplement justifier d’un intérêt pour le sujet qu’ils proposent. Ainsi, autant il est dangereux de s’inspirer de l’actualité pour proposer un sujet (vous n’êtes pas les seuls sur le marché et bien évidemment que des auteurs plus expérimentés ne vous ont pas attendu pour traiter du scandale DSK par exemple), autant, un sujet complètement déconnecté des enjeux actuels pourrait vous desservir. Il est donc important quand vous recevez ce genre de reproches de reconnecter votre travail au goût du jour.
Astuce : travaillez votre note d’intention (à travers un projet historique par exemple, vous soulignez une grande question actuelle comme l’a fait Nicolas Cuche avec Inquisitio par exemple). Cela vous permettra de donner une cohérence à l’ensemble de la présentation de votre dossier qui doit le rattacher d’une façon ou d’une autre à l’actualité. Vendre un projet à un producteur, c’est toujours donner l’ensemble des arguments pour lequel il est bankable.
Plus vous le rendrez sexy et actuel dans les questions qu’il pose, plus vous fédérerez des intérêts potentiels.
Excuse générique pour écarter un projet sans avoir à se mouiller, il s’agit le plus souvent d’un recadrage de la production qui vous avertit que vos thématiques ou le format que vous avez développé ne correspondent pas du tout à leur savoir-faire ou à ce qu’ils ont envie de faire. En général, il vous faut ré-affiner vos critères de sélection. Avant d’envoyer, renseignez-vous toujours sur les productions précédentes du producteur en question et amassez autant d’informations que possible.
Autre possibilité : votre projet ne correspond pas à la ligne éditoriale du diffuseur avec lequel travaille le producteur, ou ce dernier ne voit pas à quel diffuseur proposer votre projet tout simplement. Pour donner le plus de chances possibles à votre projet, sachez donc a priori comment le calibrer et à quels diffuseurs potentiels il pourrait correspondre. Cela vous rendra plus professionnel et plus pertinent. Pour vous aider, posez-vous les questions suivantes en fonction des cases de diffusion disponibles de fiction TV actuelles : mon projet est-il plutôt une comédie TF1, un drama ARTE, une série historique FTV, un soap TNT, un format court M6, etc. Cela vous aidera à mieux le marketer et donc à mieux le vendre à un producteur.
Astuce : comme un communiqué de presse, votre dossier doit servir vos intérêts et mettre toutes les chances de votre côté. Plus le producteur pourra piocher des arguments en votre faveur, plus il sera incité à le prendre (surtout si vous n’êtes pas connu).
Autre possibilité : le format et le thème correspondent à ce qu’a déjà fait le producteur mais le genre que vous avez choisi n’est pas intéressant pour lui. Rappelez-vous que les deux genres les plus fédérateurs en TV sont aujourd’hui le policier et la comédie. Si vous choisissez d’envoyer un thriller futuriste, vous avez ainsi moins de chance d’attirer l’attention actuelle d’un producteur, qui, même s’il aime ces genres, aura du mal à le vendre dans les conditions actuelles du marché.
Astuce : rattachez donc au maximum vos projets, soit à l’un des genres cités ci-dessus, votre thriller futuriste pourra se vendre plus facilement si vous le présentez comme un policier avec un twist fantastique, soit à un format facile à produire comme le format court par exemple dont la logique low cost rendra le genre de votre projet plus exploitable.
Il s’agit souvent d’une critique générale qui vient appuyer le manque de précision de votre dossier. Votre lecteur n’a pas bien compris les enjeux dramatiques que vous lui avez exposés, ou n’y a pas trouvé assez de conflits et donc en a déduit un manque d’intérêt global pour le sujet. Il vous faudra retravailler en priorité vos mécaniques dramatiques.
Pour une série par exemple, il sera important pour le producteur de voir dans votre projet une mécanique capable de produire un grand nombre d’épisodes. N’hésitez pas ainsi à y inclure des one-liner d’épisodes, ou à ébaucher le traitement des saisons suivantes.
Astuce : il faut que vous RASSURIEZ, non seulement vous devez montrer que vous maîtrisez votre sujet, mais que vous en avez sous le pied. Plus vous aurez blindé votre mécanique et plus l’écriture en sera facilitée. N’oubliez pas que vos lecteurs pensent toujours en termes d’efficacité industrielle. Une série doit être rentable, plus vous aurez donné d’arguments en ce sens, mieux votre projet sera apprécié.
Rappelez-vous qu’on écrit toujours pour un budget. Même si ce n’est pas votre job de préciser le budget prévisionnel de coûts de votre série, vous devez savoir si les décors que vous envisagez sont chers ou pas, si votre projet nécessitera un grand nombre d’épisodes pour être rentable, la construction d’un plateau, ou s’il peut s’adapter à une structure low cost.
Avoir conscience du coût de son projet est ainsi une bonne indication pour le producteur qu’il s’adresse à un pro. Une série qui demanderait un investissement trop important comparé à l’expérience de l’auteur pourrait d’office bloquer les chances de retours positifs. Plus vos projets seront faciles à faire, plus vous aurez de chances de convaincre, sinon, il vous faudra justifier de l’investissement que vous demandez.
Astuce : pour mettre toutes les chances de son côté, mieux vaut commencer petit… Même si l’on ne vous reprochera jamais frontalement un manque d’expérience, un producteur tentera toujours de minimiser ses risques et choisira toujours un projet facile à faire porté par des auteurs connus que l’inverse. Facilitez-lui la vie dès le départ en ayant à l’esprit ses contraintes industrielles.
Même s’il s’agit d’un reproche général parfois difficile à interpréter, vous pouvez tout de même en rechercher la cause dans les faits suivants. Comme les temps de développement sont longs, il est possible que votre projet traite d’une thématique ou d’un sujet repris par d’autres. Les bonnes idées étant dans l’air, vous pouvez être rattrapé par des projets similaires qui viendraient parasiter l’intérêt pour votre sujet.
Astuce : vérifiez ainsi toujours que le sujet de votre projet n’a pas été traité récemment, ou que même s’il reprend le même thème, que votre traitement est original, soit par le genre que vous avez choisi, soit par le format, etc. Essayez toujours de vous différencier des autres et indiquez toujours dans vos dossiers en quoi votre matériel est innovant. Si vous ne trouvez rien à dire, c’est probablement qu’il vous faut travailler cette partie.
Reproche générique, cela ne veut pas dire que votre projet est mal fait ou incohérent. Il s’agit surtout d’une excuse pour signaler un manque de liaison logique. Quelque chose, dans l’intrigue que vous avez créée, n’est pas convainquant et le lecteur a une impression de faux ou de bump. Rappelez-vous qu’il est de votre ressort de faire croire à une vérité, pour cela l’univers que vous avez créé doit être convainquant. Soit vous n’avez pas fourni assez de détails concrets, soit vos personnages n’ont pas de failles ou manquent d’objectifs, soit vous n’avez pas suivi les règles du genre que vous avez choisi…
Astuce : il est aussi possible que votre sujet vienne rencontrer un tabou sociétal. Aucun producteur ne vous le dira empressement, mais si votre sujet est dérangeant, il aura plus de mal à se faire. À vous d’anticiper et de souligner le tabou que vous abordez pour le traiter comme un atout d’originalité. Plus vous aurez conscience des forces et faiblesses de vos projets, plus vous construirez des argumentaires efficaces en leur faveur.
Conclusion : bien évidemment ce guide n’est pas exhaustif et rares sont les producteurs qui prennent réellement le temps de vous faire des retours argumentés. Pour la plupart d’entre nous, pas de retour = retour négatif = pas intéressé. Néanmoins, tout retour ne serait-ce qu’un minimum argumenté peut vous fournir des pistes de réécriture intéressantes. J’espère que ces différentes réflexions tirées de mon expérience vous aideront à mieux comprendre les remarques que vous entendrez parfois sur vos projets et à mieux les utiliser pour vous améliorer.
N’hésitez pas ainsi à partager avec nous vos différentes expériences à ce sujet pour venir compléter cette liste.
Pierre-Antoine Favre
S'agissant de la critique sur le manque de crédibilité : est-ce que justement le but d'un scénario n'est pas de faire apparaître des situations comme vraisemblables, crédibles, à défaut d'être réalistes (l'exigence de réalisme n'étant pas un obstacle tant que la crédibilité des émotions véhiculées par les personnages et les situations est au rendez-vous) ?
Partant de là, il me semble que même si la critique sur un éventuel manque de crédibilité d'un scénario est parfois confuse ou utilisée comme prétexte, elle peut aussi pointer de vraies faiblesses sur le fond.
Mais bon, juste "my 50 cents" comme on dit 😉
Excellent guide !
High concept
@Pierre-Antoine : toutes les critiques portent de toutes les façons une vérité qui est que quelque chose n'a pas fonctionné. Je donnais ici quelques pistes pour trouver quoi en fonction des termes utilisés. Mais je crois que je n'ai pas bien compris votre question :-(, pouvez-vous la reformuler?
Pierre-Antoine Favre
Navré si je me suis mal exprimé. Dans la mesure où un scénario ne vise pas tant à proposer une situation réaliste qu'une situation vraisemblable (exemple : un film de science fiction), je me demandais si sur le manque de crédibilité d'une histoire ne devait pas simplement être interprété comme un refus de façade (reproche générique), mais aussi comme une critique beaucoup plus importante sur la qualité du matériau ?
Cela dit, en formulant la question et en relisant votre article, je m'aperçois que votre propos est déjà très clair sur le sujet, d'où sans doute le trouble causé par ma question… qui n'a pas lieu d'être 😉
High concept
@Pierre-Antoine : question pertinente au contraire. Bien sûr, le reproche en crédibilité indique souvent un manque de vraisemblance (le producteur ne croit pas à votre histoire), mais du coup, c'est aussi une critique de fond (vous n'avez pas convaincu, quoi qu'il en soit). Après, quand on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage. Quelqu'un qui n'aime pas votre projet lui trouvera des milliers de défauts, et a contrario, quelqu'un qui l'aime lui attribuera toutes les qualités ou minorera ses défauts. C'est pour ça qu'il est toujours important d'envoyer à plusieurs personnes.