Françoise Ménidrey, directrice de casting connue (La boum, Les fugitifs, Les visiteurs, JCVD…) fait une analyse pertinente du marché français du cinéma et de la TV tout en dévoilant les coulisses d’une profession sous-estimée et peu connue du grand public dans son livre Casting director : Un métier de l’ombre. .
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Françoise Ménidrey, directrice de casting connue (La boum, Les fugitifs, Les visiteurs, JCVD…) fait une analyse pertinente du marché français du cinéma et de la TV tout en dévoilant les coulisses d’une profession sous-estimée et peu connue du grand public dans son livre Casting director : Un métier de l’ombre.
En voici quelques extraits intéressants pour commenter le marché audiovisuel français.
- Un système qui favorise les stars. En revenant sur son rôle, Françoise Ménidrey, rappelle qu’un directeur de casting est censé être un intermédiaire entre un texte et un metteur en scène. Or pour servir de maillon entre les deux, un directeur de casting doit passer par des agents qui se répartissent en deux catégories :
- ceux qui n’ont pas d’acteurs « bankables » ;
- et ceux qui représentent les « stars ».
Les deux touchent exactement la même commission : 10% mais les sommes sont loin d’être comparables.
Or, le constat de Françoise Ménidrey est clair : tandis que ceux qui se démènent pour proposer du nouveau se voient fermer la porte au nez des grands rôles de cinéma et doivent se contenter de petits rôles en TV, le système favorise ceux qui ont déjà pignon sur rue. Ces agents passent d’ailleurs leur temps à parler d’argent sans jamais évoquer l’artistique (ils ne lisent pour la plupart pas les scénarios que leurs stars vont jouer).
Le système est le même pour les agents d’auteurs qui se retrouvent également dans les deux mêmes catégories :
- ceux qui trouvent du travail aux scénaristes,
- et ceux qui défendent les intérêts financiers d’auteurs plus côtés.
La première catégorie d’agent n’arrive en général à caser ses recrues que sur des projets à faible valeur ajoutée et à bas coûts (type soap ou séries éclusées) sans parler des conditions juridiques parfois choquantes qu’ils se laissent imposer faute de pouvoir de négociation, tandis que les autres font gagner à leurs stars et à eux-mêmes des cachets mirobolants dans des conditions favorisées.
Dans les deux cas, il n’est jamais question au final de qualité d’écriture, ni de propositions artistiques. Les auteurs connus font ce qu’ils savent faire, ou travaillent sur commande, les autres prennent ce qui reste. De temps en temps, l’un d’entre eux perce et rejoint l’autre camp.
- Un système qui fonctionne en vase clos. En effet, Françoise Ménidrey dénonce un système qui ne se renouvelle pas parce que les diffuseurs ne demandent que des stars pour se rassurer. Seule une trentaine d’acteurs et actrices travaillent aujourd’hui ! Les acteurs peu connus rament dans le désert, et les stars s’en mettent plein les poches. On s’en doutait. C’est un cercle vicieux : les diffuseurs demandent des acteurs connus, qui travaillent toujours avec des producteurs connus, qui eux-mêmes ont l’habitude de travailler avec des auteurs connus, etc…
Résultat, vous voyez toujours les mêmes noms partout, le même type de fictions et il existe très peu de places pour les nouveaux entrants, surtout quand le marché de la création originale se restreint comme cela semble être le cas aujourd’hui. Il est intéressant de noter d’ailleurs que la TV reprend les bonnes vieilles recettes des héros citoyens lisses (incarnés souvent par des stars), cf. mon billet Le syndrome de la fiction française : des séries low concept centrées sur les femmes.
Pour en savoir plus sur la différence entre un low et un high concept, je vous renvoie à la masterclass vidéo Le high concept, ou comment vendre son premier scénario à un producteur. En effet, c’est le serpent qui se mord la queue : quand vous essayez de faire du neuf avec de l’ancien, ça ne marche pas. Il faut des nouveaux auteurs, producteurs, acteurs pour faire du nouveau, or, si ceux-ci n’arrivent jamais à avoir droit à la parole, ou dans des conditions biaisées (formatage des chaînes, remplacement des créateurs originaux), ça ne fonctionne pas. Résultat : rien ne change. C’est bien ce qui se passe aujourd’hui, et pour quelques projets innovants mis en avant tels des arbres qui cachent la forêt, le gros de la production nationale reste sur ses acquis.
- La TV reste le parent pauvre de l’audiovisuel. Autre fait frappant, il y a un mépris chez beaucoup d’acteurs connus pour le petit écran. Ils crachent sur la télé ou ne veulent pas en faire jusqu’à ce que ça marche moins bien pour eux. Là, comme par hasard, ils y reviennent, accueillis comme des messies, sans que personne ne trouve ça choquant. Françoise Ménidrey évoque ainsi le cas de Jean Réno qui vient de signer avec Europacorp une grosse série internationale pour TF1 par exemple.
Ce constat peut être aussi valable chez nos confrères scénaristes. Certains auteurs du petit écran sont des auteurs de cinéma frustrés qui se sont contentés de la TV pour arrondir leur fin de mois, méprisant l’oeuvre qu’ils contribuaient pourtant à créer. Comment faire une fiction de qualité quand l’auteur dénigre son propre travail ? Ce n’est que de la télé, j’ai commis un Soeur Thérèse, je fais du Julie Lescaut en attendant mieux… ai-je entendu si souvent. Quand vous savez que ces auteurs touchent en moyenne 30 000 euros par épisode de 52′ et 45 000 euros sur du 90′, on ne comprend pas qu’ils crachent dans la soupe. Attention, je ne dis pas que c’est le cas pour tous, et beaucoup d’auteurs sont fiers de faire de la TV ou ont choisi ce média pour ce qu’il était (comme Cédric et moi, ou d’autres qui ont travaillé sur de nouvelles séries comme Les Bleus, Vénus et Appollon, Un village français etc. et beaucoup d’autres du service public en général) mais force est de constater que le PAF ne se renouvelle pas ou très peu.
D’ailleurs, quand les choses bougent en TV et que des initiatives sont prises sur des projets innovants, on demande là aussi à des stars de cinéma (auteurs, réalisateurs, acteurs) de venir prêter leur talent (je pense ainsi à la politique TV de qualité initiée par Canal+) sans parler de la tentation américaine. Quand on veut faire des séries à potentiel international ou innovantes, il suffit d’aller piocher dans le vivier d’auteurs américains reconnus. Certes, ils seront payés très chers, mais la chaîne aura l’impression d’en avoir pour son argent.
- Alors, on reste entre soi pour faire toujours la même chose. Françoise Ménidrey s’en prend ainsi aux familles du cinéma : les stars travaillent toujours avec les mêmes.
Il est ainsi inutile d’envoyer des scénarios à des acteurs demandés (Alain Chabat, Djamel, Edouard Baer ou encore Richard Berry) car ils ne les liront pas. Ils font très bien ce qu’ils savent faire avec ceux qu’ils connaissent. D’ou le florilège de films de « potes » actuels dont nous sommes abreuvés : ils sont potes à la vie, potes à l’écran, etc… et au final, ne prennent jamais le risque de faire autre chose, et pourquoi le feraient-ils puisque ça marche ? - Un problème de qualité globale Françoise Ménidrey ajoute enfin que beaucoup de films actuels ne méritent pas leur casting, et pourtant ils se financent sans problèmes. Pourquoi ? Parce que les stars en garantissent le succès. La qualité attendra.
Comment imaginer l’avenir dans ces conditions ? La directrice de casting, bien qu’adorant son métier, est pessimiste : la profession aujourd’hui parle beaucoup plus d’argent que d’artistique, et l’innovation n’est pas un critère pour générer de l’envie. La TV mise sur les séries que nous connaissons déjà, et le cinéma français sur les familles actuelles, nous repassant les mêmes têtes sur les mêmes problématiques à longueur d’années.
Je me permets ainsi de conclure encore une fois avec Sullivan Le Postec qui attire notre attention sur les pratiques actuelles révélatrices des diffuseurs dans son article intitulé « Et tranquillement, le CSA proposa de tuer la fiction française » du 3 mai : « les chaînes payent la quasi-totalité du coût des fictions, le producteur complétant un petit pourcentage via des systèmes publics : CNC ou aides de collectivités locales. Dans ce système né dans les années 80, le producteur français se rémunère à la marge. C’est à dire qu’il se fait payer par la chaîne un montant 10 pour une fiction qui lui en coûte 9. Une activité totalement sans risque pour la société de production, ce qui va d’autant plus provoquer leur opportuniste pullulement.
(…) On le voit bien, par mépris de la manière dont les règles économiques influent sur la création, on a créé ainsi un antisystème profondément hostile à la création, à la qualité et à la progression du média. Puisqu’elles financent entièrement les fictions, les chaînes ne considèrent que leur intérêt propre. Quel est-il ? Uniquement réaliser l’audience maximale pour pouvoir vendre les espaces publicitaires le plus cher possible. C’était d’autant plus facile dans le PAF peu fourni en chaînes des années 80. On invente alors cette fiction pantoufle qui ne provoque certes pas l’adhésion, mais divertit gentiment sans jamais gêner le spectateur, et donc sans qu’il ne soit jamais poussé à zapper. Personne n’aura jamais envie d’acheter Navarro en DVD, encore moins de porter la casquette, mais TF1 s’en fiche puisqu’elle ne gagne pas son argent comme ça.
(…) L’intérêt du spectateur et l’augmentation de la qualité des programmes me paraissent un objectif aussi évident qu’éminemment respectable. Cet objectif clairement affiché, il faudra recréer des autorités de régulation à la fois indépendantes et compétentes — quand le CSA actuel n’est ni l’un, ni l’autre — pour en organiser l’application. La tâche est ambitieuse mais surtout, elle est cruciale si la France veut garder une place dans le paysage culturel mondial. »
À bon entendeur. Qu’en pensez-vous ? Source : a-suivre.org, article de Sullivan Le Postec du 3 mai 2012- RÉGULATION — Et tranquillement, le CSA proposa de tuer la fiction française…
tonynguyen
La diversité des rôles des talents (comédiennes et comédiens et autres cas d'artistes inconnus) à la TV et au Cinéma Français à travers les casting artistiques : c'est déjà très formaté, ultra-sélect, choisissant toujours les même qui sont primés en scènes (comme un circuit vicieux- mafieux artistique système showbiz) choisissant que des stars et ceux qui rapportent le plus de fric à l'intérêt des unités de presse-people et à ceux qui les produisent des succès mais vendre du rêve et non du talent. Regardez la télé-réalité : le talent artistique et l'innovation sont encore en dessous de ces valeurs, alors comment changer le système ??? Depuis l'apparition de multiples incessants formats de télé-réalité qui déforme la réalité et décalant nos réels talents artistiques, alors je n'imagine pas le métier de directrice/directeur de casting de l'ombre qui exécute les ordres comme un soldat. Mais combien de vrais talents artistiques et d'acteurs asiatiques valorisés à la télévision française et au cinéma ?! Le système de sélection de rôles est devenu trop : JET-SET et STAR-SYSTEM qu'il met en péril le reste des rôles "méconnus" !Si nous ramons dans le désert ou dans l'ombre mais face à ce système inégalitaire qui ne se renouvelle pas; puis si le marketing ethnique en France et la France a pris plus de 10 ans de retard par rapport aux USA-ASIE; "si vous ne changez pas en vous-même, ne demandez pas que le monde change" !
High concept
@Tony : le star system est inhérent hélas au fondement du cinéma et a déteint en TV. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a de places pour personne d'autre. Aujourd'hui, l'espace de liberté le plus grand en France se trouve paradoxalement en ciné (qui promeut une diversité intéressante), la faute aux diffuseurs TV frileux qui s'achètent leurs audiences à coups de cachets de stars et autres célébrités plus ou moins fondées. Heureusement, la concurrence des nouvelles chaînes et les nouveaux médias comme Internet viennent bousculer ce jeu traditionnel. Aux plus motivés de savoir comment tirer leur épingle du jeu même si c'est difficile et même si le parcours est semé d'embûches (mais a-t-il jamais été facile?).