L’industrie cinématographique et audiovisuelle va mal. Ce n’est pas moi qui le dis mais l’Observatoire « Métiers et Marchés » de la Ficam, la fédération des industries techniques du cinéma, qui vient de publier un rapport inquiétant.
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L’industrie cinématographique et audiovisuelle va mal. Ce n’est pas moi qui le dis mais l’Observatoire « Métiers et Marchés » de la Ficam, la fédération des industries techniques du cinéma, qui vient de publier un rapport inquiétant.
Les faits :
- Concernant les industries techniques de productions de films de long métrage (cf. l’article sur l’accueil des tournages à Paris), la FICAM constate (sur déclaration de ses adhérents entre le 1e janvier et le 30 juin de l’année en cours) :
- Une augmentation globale des tournages de long-métrages : la production totale de longs-métrages est en hausse de 25% comparée à la même période sur 2011, boostée par la présence des documentaires (20 en tournage sur les six premiers mois de 2012, contre 9 en 2010 et en 2011).
- Une délocalisation croissante hors des frontières de l’Hexagone, principalement dans les pays européens voisins : 69% des films à plus de 10 millions d’euros d’initiative française ont été ou se tournent actuellement hors de France (contre 45% au 1er semestre 2011), 35% en moyenne sur l’ensemble des productions (contre 23% pour la même période en 2011).
- Une augmentation de 11% des budgets des films mis en production au 1er semestre 2012 par rapport à 2011.
- Une diminution de 26% du nombre de films dont le budget est situé entre 4 et 7M € de budget.
- Les pays qui accueillent les productions françaises sont en majorité des pays voisins : La Belgique pour Landes de François-Xavier Vives, Une place sur la terre de Fabienne Godet, L’Ecume des jours de Michel Gondry ; l’Allemagne pour La Religieuse de Guillaume Nicloux, le Luxembourg pour Arrêtez-moi de Jean-Paul Lilienfeld…
- Les caméras numériques sont utilisées sur 83% des projets.
Conclusions : la pente n’était pas nouvelle, mais ces taux du premier semestre sont les plus importants de ces cinq dernières années et viennent confirmer le manque à gagner considérable que perd notre industrie nationale chaque année. Non seulement, l’industrie française cinématographique ne bénéficie pas de sa croissance (+25% quand même !) mais elle la perd au profit de pays limitrophes qui lui font bénéficier d’avantages fiscaux plus avantageux. Par ailleurs, l’écart semble se creuser entre des grosses productions (dont le budget est supérieur à 10 M€) qui cherchent à rentabiliser leur financement (- de CNC, plus de fonds propres et de préachats de chaînes) et les petites (-de 4M€) qui restent sur le modèle d’un financement plus subventionné. La tendance de fond est tout de même à l’économie générale et donc à la recherche de coupes budgétaires que les productions de films viennent chercher hors de l’Hexagone sur des packages moins couteux en matériel (caméras numériques) et en masse salariale (décors et techniciens étrangers). Paradoxalement, l’industrie cinématographique a trouvé un relais de croissance à l’étranger.
- Concernant les industries techniques de production de films de fiction unitaires et de séries télévisées, l’Observatoire « Métiers et Marchés » de la Ficam constate auprès de ses adhérents entre le 1er janvier et le 30 juin de l’année civile :
- Une baisse du nombre de semaines de tournage en France de 23% à son plus bas niveau historique en cinq ans tandis que le nombre de semaines de tournage à l’étranger fait un bond de 64%.
- Une multiplication par quatre des délocalisations qui concernent surtout les coproductions internationales : Odysseus (Arte) au Portugal, XIII saison 2 (Canal+) au Canada, Borgia saison 2 (Canal+) et l’unitaire Manipulations (France 2) en République Tchèque, Tout doit disparaître (France 2) et Radin (TF1) en Belgique.
- Des différences notables du volume horaire produit en fonction des différents formats TV :
- Une baisse des durées de tournage des formats courts pour un volume horaire plus important (plus de formats courts avec une rationalisation du temps de tournage). L’expérience gagnée sur Scènes de ménage se poursuit avec En famille produit par le même producteur (Kabo) pour M6, tandis que TF1 monte en puissance avec Nos chers voisins.
- Un volume horaire des fictions de 52’ en baisse de 10% corrélé à une baisse de 16% du nombre de semaines de tournage (moins de tournages qui durent encore moins longtemps).
- Les tournages d’unitaires de 90’ sont en baisse de 34%.
- Le format de 26′ s’envole avec un nombre de semaines de tournage qui passe de 65 semaines en 2011 à 100 en 2012 (+35%), concernant entre autres les nouvelles séries C’est la crise (Anne Roumanoff pour la chaîne câblée Comédie), Zak (Orange Cinéma Séries) et Lignes de vie (France 2).
- 99% des tournages sont en numérique.
Conclusions : Un volume horaire de fiction française qui baisse de façon globale donc, surtout sur les unitaires, les chaînes se reportant massivement sur des formats plus courts et moins couteux (26′ et formats courts) sur des formats sériels qui permettent en plus d’abaisser les coûts de production. Par ailleurs, tandis que les séries de 52′ sont sur une pente descendante, s’il y a productions de prestige, ces dernières se reportent sur le modèle financier cinématographique en se délocalisant à l’étranger (cf. modèle économique des coproductions internationales) pour dégager des économies d’échelle.
Que retenir ?
Le modèle français de production de fiction qui reposait sur un coût horaire élevé financé à 90% par les diffuseurs est en train de voler en éclat et les dégâts collatéraux touchent surtout la fiction TV. Tandis que l’industrie cinématographique (en forte progression) se scinde entre deux modèles de production avec d’un côté, un cinéma d’auteur à petit budget subventionné et non rentable et de l’autre, un cinéma à vocation plus internationale avec des films commerciaux financés en coproduction hors du territoire national, la fiction TV regresse, elle, de manière générale et tente de se rattrapper avec le low cost (cf. le nouvel eldorado des formats courts) et la coproduction internationale pour limiter la casse. Dans les deux cas, l’industrie globale de la filière audiovisuelle semble s’appauvrir. Qu’en pensez-vous ?
thierry
Ce qu'on en pense?…
Passez-moi une corde, ça ira plus vite.
Pierre-Antoine Favre
Dans la mesure où cette tendance à la délocalisation semble davantage liée à la recherche de coûts de production moindres qu'à une réelle migration des centres de décision (enfin, d'ici à ce que le modèle économique des corproductions internationales ne se généralise pas trop…), touche-t-elle surtout les corps de métiers engagés sur un tournage (réalisateurs, acteurs, techniciens de plateau, etc…) ou bien également les scénaristes, a priori davantage impliqués dans les phases amont du projet et donc potentiellement moins exposés ?
Pierre-Antoine Favre
@ Thierry : ma question est juste une tentative de se rassurer un peu, histoire de ne pas finir tout de suite avec la corde 😉 Enfin, ça dépend de la réponse…
High concept
@Thierry : c'est plutôt un signe positif paradoxalement car une industrie qui ne cherche plus de profits est une industrie qui meurt. Donc, à force de chercher, ils vont finir par trouver des solutions plus durables que la délocalisation à tout va. Enfin, j'espère… C'est juste un mal nécessaire.
@Pierre-Antoine : il ne faut pas s'inquiéter en fait, nous sommes au plus bas, ce qui annonce donc une bonne nouvelle : ça va forcément repartir à la hausse – la reprise n'est peut-être pas si éloignée en fait. Sinon, il nous reste toujours le cinéma dont la croissance et la bonne santé avec des mécanismes de financement bien rodés semble augurer des cieux très cléments.
thierry
Autour de moi, en tout cas, les projets que je connais vont tous se fabriquer a l'étranger (belgique, croatie, israel).
J'ai commencé a bosser en 1985 (en post prod), et j'ai vu la situation évoluer sur la soixantaine de films sur lesquels j'ai été impliqué, et il est clair, que depuis quatre ou cinq ans, les décisions ne sont plus faite qu'en fonction du coût, rien d'autre.
les co-productions impliquent toujours des délocalisation.
Un des projet que j'ai écris et en ce moment ré-écris par un scénariste belge a cause des aides liées la co-prod.
Je ne vois pas comment ce mouvement va s'arrêter, on est loin d'avoir touché le fond, je pense.
Mais bon, c'est mon coté; c'est mieux avant…
On paie notre "niveau de vie trop élevé", comme dans tant autres secteur d'activité.
tant qu'on trouvera moins cher ailleurs…
Ce qui me rassure parfois c'est d'entendre certains regretter cette délocalisation pour des raisons de pure qualité.
(Je ne citerais pas de nom, mais certaines grosse prod récentes on du expatrier leur post prod et le regrettent bien..)
High concept
@ Thierry : tout à fait d'accord avec vous. Ces mouvements ont des limites intrinsèques même si la tendance est inscrite pour un bon moment malheureusement. Le fait qu'elle touche désormais les productions TV nous montre ainsi que le secteur audiovisuel commence enfin à bouger. Wait & see.