Notre fidèle lecteur Paul Dubois* s'est aimablement prêté à un exercice d'écriture, bien connu des étudiants en scénario : analyser la structure d'une série. Sous son microscope : Prison Break, saison 2.
5 MIN. DE LECTURE
Un grand merci à Paul d’avoir joué le jeu, car notre discussion permettra d’aborder de nouvelles notions tirées de notre méthode de création de séries.
Paul écrit : « Avec un concept simple et accrocheur (un homme s’emprisonne délibérément pour organiser l’évasion de son frère condamné à mort), les scénaristes de la série Prison Break déploient des trésors d’ingéniosité afin de maintenir la tension dramatique chez les téléspectateurs. Comment les showrunners ont-ils réussi à conserver une licence qui repose sur une mécanique de film d’évasion alors que les protagonistes s’échappent de prison en fin de première saison ?
La licence de Prison Break
« La série Prison Break repose sur une structure à la fois simple et redoutablement complexe, une course contre la montre, appelée aussi horloge par les scénaristes. Cette technique consiste à donner au protagoniste une limite de temps pour accomplir une action ou franchir un obstacle. Cela permet aux scénaristes d’installer du suspense dans une séquence voire de dynamiser un second acte parfois lent (la tâche du protagoniste). »
Réponse de notre consultant, Cédric Salmon : « L’horloge est effectivement une composante importante de la narration de PB, bien vu ! Attention cependant, la tâche n’a rien à voir avec l’acte deux. Pour mémoire, la tâche est le moyen concret employé par le protagoniste pour atteindre son objectif (ce moyen pouvant être traité dans n’importe quel acte; dans PB, il figure ainsi dans l’acte trois — voir notre formation vidéo pour apprendre à utiliser la structure en 4 actes des séries TV américaines dans le « breakdown »). Quel est l’objectif ? »
P. : « Dans notre exemple, le but de Michael Scofield consiste à s’évader avec son frère, Lincoln Burrows. Son dernier recours venant d’être rejeté, ce dernier n’a que quelques jours devant lui avant son exécution. C’est une horloge très efficace, puisqu’ainsi le plan de Michael qui aurait pu être insignifiant devient passionnant sans compter sur le lien fraternel qui les unit, ajoutant une touche dramatique non négligeable. »
Réponse de Cédric : « La tâche de PB (appelée aussi « licence » pour une série, cf. notre form. vidéo pour apprendre à créer le concept d’une fiction récurrente) est donc le moyen original employé par Michael pour faire évader son frère: ici, se faire tatouer les plans de la prison sur le dos et s’y faire incarcérer volontairement en commettant un braquage, pour exécuter les étapes d’un plan d’évasion — qui seront révélés progressivement à chaque épisode (comme les parties de son tatouage d’ailleurs) —, avant l’exécution de son frère (horloge). »
P. : « Nous trouvons plusieurs horloges dans la série. Pour n’en citer qu’une, dans un épisode, Michael doit récupérer un médicament pour continuer à simuler son diabète et accéder à l’infirmerie. Nous savons que c’est un enjeu de taille pour lui, déterminant dans la réussite de son entreprise (l’infirmerie est le maillon faible de la prison). Son obstacle majeur est le temps, mais aussi son embrouille avec son fournisseur. Le sentiment d’urgence est immédiat. « D’ailleurs, comme pour corroborer ce constat, Faf Larage interprète le titre Pas le temps dans le générique français de la série :
« Par ailleurs, l’intrigue secondaire de conspiration et d’enquête qui a une directe répercussion sur les évènements dans la prison permet d’éviter les écueils du huis clos et de varier les goûts. Cet élément sera d’ailleurs déterminant dans le procédé de récurrence auquel s’inscrivent les autres saisons… »
Réponse de Cédric : « Bien vu. C’est tellement important que ce n’est d’ailleurs pas une intrigue secondaire, mais bel et bien un deuxième volet de la licence. Michael doit non seulement exécuter son plan, mais aussi enquêter pour démasquer le véritable assassin afin d’innocenter son frère. Cette structure dramatique bien particulière, qui celle d’un sous-genre du policier appelé « innocent-on-the-run ». La structure en 4 actes du one hour drama américain nécessite en effet une enquête, et le genre du policier est ainsi caché dans 90% des séries TV (voir notre masterclass vidéo pour apprendre la mécanique d’enquête). »
Prison Break saison 2
P. : « Alors que le concept de base semble condamné à ne pas perdurer, force est de constater qu’après une saison 1 palpitante où le suspense carcéral se mélangeait adroitement à une intrigue policière au timing serré, les scénaristes poussent la tension dans ses derniers retranchements autour des protagonistes, même une fois évadés.
« Analysons la structure de la saison 2 qui me semble la digne successeure : les 1-2-3 sont particulièrement bien pensés.
« Le DÉCLENCHEUR est clairement identifiable ; il s’agit de la fuite des personnages à travers les États-Unis, l’Arène, quoique n’égalant pas l’aura de la prison de Fox River. En ce qui concerne les deux frères, ceux-ci tentent de sauver dans un premier temps le fils de Lincoln, incarcéré, puis partent à la recherche de la somme d’argent dissimulée par Charles dans l’Utah (il a révélé son emplacement avant de mourir dans la saison 1).
« Le génie des scénaristes est justement d’avoir su user et abuser de la technique de milking en exploitant le maximum d’éléments possibles de la première saison. Les messieurs réintroduisent même Brad Bellick dans la saison 2, le gardien-chef de la prison de Fox River. À ces antagonismes forts s’ajoute l’agent Mahone William Fichtner, le nouveau venu, qui en détective maniaque et dérangé mène le show.
« Les histoires de complot et la relation amoureuse entre Sara, l’infirmière, et Michael sont au cœur de cette saison. Sara Tancredi à elle seule sert de passerelle entre les différents protagonistes : d’abord, les prisonniers (elle est la clé de l’évasion de Michael et par la suite, elle détient une preuve permettant l’innocence de Lincoln), le personnel de prison dans la première saison (elle doit son travail de médecin à Brad Bellick qu’elle a rencontré aux réunions anonymes d’anciens drogués) et le Cartel, une organisation secrète fictive qui dirige les États-Unis (son père est gouverneur). »
Réponse de Cédric : « De la licence de la saison 1 ne persiste donc que le second volet du complot, l’innocent-on-the-run, qui prend certes toute son ampleur (ce que vous décrivez parfaitement, Paul), mais le plan des passages souterrains de la prison, lui, demeure tatoué sur le dos de Michael sans lui être d’aucune utilité. Terminée l’arène de la prison. Autrement dit : la licence n’est plus la même et Prison Break saison 2 est… une autre série. Cette série peut-être fascinante et très réussie, mais la mécanique de récurrence est détruite. »
P. : « Michael se retrouve en prison dans la saison 3, mais à partir de ce point, le téléspectateur aguerri ressent un léger essoufflement de l’intrigue du fait d’incohérences et de répétitions. »
Réponse de Cédric : « Merci Paul. Pour finir, un quizz pour nos chers lecteurs !
Comment appelle-t-on dans les writing-rooms américaines le moment où une série détruit ainsi sa propre licence ? »
*À propos de Paul : Paul Dubois est passionné de littérature, de cinéma, de séries télévisées et de musique. Il a sous le bras une dizaine de romans et de nouvelles qu’il espère éditer un jour. Un pitch pour la route : Un nettoyeur de scènes de crime, un conducteur routier à la retraite, découvre qu’il travaillait sans le savoir pour la mafia. Sa famille menacée et la conscience souillée, il est contraint de se soumettre aux instructions, mais c’est sans compter sur une veuve éplorée qui va l’aider à préparer un plan pour défaire ce réseau criminel de l’intérieur. Mais, s’il n’était que la marionnette d’une machination encore plus infernale ? En attendant de vivre de son art, il s’exerce à diverses occasions en tant que prête-plume (il a été par le passé écrivain biographe privé, avant de se convertir vers la fiction). Visitez son blog de notre part à l’occasion : Écrire un roman est mis à jour chaque vendredi.
Ludovic
Superbe analyse qui nous mets des idées en clair et des petites notions y sont abordés.
Avec ce billet, j'ai bien envie de tenter une expérience d'analyse structurelle d'une série Londonien. Pour faire un peu la différence, j'irai bien tenter d'en faire un sur Doctor Who mais c'est très complexe comme série. Du coup, j'irais miser sur la série "Nick Cutter et les portes du temps" alias "Primeval ou Primitif" (sur les 4 saisons car la structure en elle même a beaucoup évolué) m'en donneriez-vous votre accord pour le faire ?
Anonyme
Je vais tenter ma chance. Dans le jargon anglais, on emploie le terme jumping the shark (littéralement « sauter par-dessus le requin ») pour parler du moment où une série télévisée baisse notablement en qualité.
D’ailleurs, j’aimerais rebondir sur ce point. Vous, qui parlez de procédé de récurrence, comment renouveler constamment l’intérêt du public et éviter ainsi ce moment de basculement ? Si, oui, connaissez-vous des séries qui ont su se ressaisir après un jumping the shark ?
Et comme il est question de Prison Break. À votre avis, quelle aurait été la meilleure solution à envisager à la fin de la saison 1 voire la deuxième ? Aurait-il fallu arrêter la série ?
Je vous remercie d’avance pour vos précieuses explications.
Sinon, un bon article bien documenté et tout. J’espère lire plus souvent vos analyses qui me comblent de joie. Quels sont les prochains thèmes traités dans votre formation ?
Chocotop
Pour répondre à la question intéressante de Anon, je pense qu'il aurait fallu construire entièrement la série sur une seul arène (Fox River) un peu à la Oz. Il y a une donné essentiel aussi, c'est de fixer un maximum de saison à ne pas dépasser (par exemple 3 ou 4) et construire en amont toute l'histoire sur cette intervalle, construire un 1-2-3 sur l’ensemble de la série (les 3-4 saisons), sur l’ensemble de chaque saisons et de chaque épisode. Avoir une vision d’ensemble, et donc ne pas être obligé de rallonger la série a cause du son succès me parait être le meilleur moyen d'éviter un jump the shark (5 saisons me parait être un cap à ne pas dépasser ).
dimetheus45
Perso j'adore trop cette série.J'ai écrit un pilote mais je ne sais pas comment développer mon concept,un ado vampire tombe amoureux d'une fille de son age sauf que son père et son frère sont des chasseurs de vampires.Je ne sais pas comment en faire un high concept (peut-etre l'ado vampire sert d'appât pour attraper d'autres vampires).Je suis dans une impasse,ce projet me tient à coeur et j'ai envi d'écrire 22 épisodes.Je rappele que c'est une websérie de 15 min max que je compte réaliser. Svp, aidez-moi !
Ludovic
@dimetheus45 Peut être que tu devrais intégrer plusieurs personnages qui entreront en conflit avec tes protagonistes et face à ces dangers, ton jeune adolescent doit protéger à tout prix celui qui l'aime malgré la différence. Mais sans le savoir, c'est que son père (chasseur de vampire)sait que son fils aime une vampire et qu'il veut toute de suite l'anéantir mais celui-ci refuse parce qu'il l'aime à la folie, comme l'effet d'un philtre d'amour. Il y a pas mal de chose à faire, mais cela reste à méditer.
Un autre conseil, n'hésite pas d'inspirer des séries de ce genre là (Supernatural, Twilight, Charmed ou encore Vampire Diaries) et des films (Abraham Lincoln, chasseur de vampire). Même si ton concept, je le vois plus en tant que comédie romantique (une autre facette qui marche très bien surtout pour une web série).
Mon deuxième conseil, n'hésite pas d'aller visionner les cours qui se trouve sur le site, notamment le 1-2-3, il faut que tes scénarios aient un début, un milieu et une fin (enfin cette dernière étape n'est pas vraiment nécessaire pour une web série, il faut juste que ce soit accrocheur pour suivre les autres épisodes.)
Et enfin, si tu es toujours bloqué et que tu ne sais pas comment te débloquer, passe à autre chose pour laver un peu ton cerveau 🙂 Raconte une autre histoire, qui peut être encore meilleur que la précédente et sert toi de tes rêves (voir l'interview de Cédric).
Moi je n'ai aucune problème, car je vois les moindres faits et gestes de mes personnages dans ma tête, c'est eux qu'ils font la lois et me montre leurs histoires, il faut qu'ils bougent comme le ferait un film et je suis obligé d'écrire les actions.
High concept
@Anon: Bravo ! On appelle en effet jump the shark un choix narratif qui détruit la licence d'une série (pour en savoir plus sur cette notion, cliquez-ici).
Dans le cas de Prison break, l'horloge elle-même ne pouvait supporter un grand nombre d'épisodes. Cette (belle) mécanique n'était pas propice à faire une série, mais plutôt une mini-série : on imagine mal une évasion à suspens qui durerait quatre ou cinq saisons…
Renouveler l’intérêt du public sur un grand nombre d'épisodes nécessite à la base des éléments techniques bien particuliers (que j'explique dans le chapitre 10 de formation vidéo et qui n'étaient pas présents dès la prémisse).
High concept
@dimetheus45: Si vous ne savez pas comment écrire votre websérie, vous êtes sur le bon site il me semble, vu que nous proposons une formation en ligne à la création de série :o)
High concept
@Chocotop: En effet, il est important de connaître les limites de la récurrence de son projet pour terminer une série à son apogée. Mais soyons pragmatiques: d'une part peu d'auteurs ont l’honnêteté de nos collègues Laura Harkcom et Christopher Leone (qui ont refusé une suite improbable à leur mini-série fantastique The Lost Room… et du même coup le pont d'or que leur faisait la chaîne américaine Sci Fi); d'autre part c'est un problème de riche, seules 40% des séries françaises connaissent une saison deux. ;o)
Anonyme
Grand merci à toute l’équipe HIGH CONCEPT avec Mr Paul Dubois!