Une conférence donnée par Frank SPOTNITZ et Alan GASMER lors de la masterclass organisée par The media faculty les 27 et 28 mars dernier à Paris nous permet de tirer les leçons de la façon de travailler des auteurs aux États-Unis.
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Une conférence donnée par Frank SPOTNITZ et Alan GASMER lors de la masterclass organisée par The media faculty les 27 et 28 mars dernier à Paris nous permet de tirer les leçons de la façon de travailler des auteurs aux États-Unis. C’est parti !
Si vous souhaitez devenir scénariste aux Etats-Unis, vous devez comprendre que le système de production de fiction américain favorise :
- une industrie purement COMMERCIALE
- « Network TV is all about making money. To succeed, you have to get an audience. »
Quand la BBC a approché Frank Spotnitz, elle lui a demandé ce qu’il désirait faire. Cette formulation l’a étonné, car jamais personne ne lui avait jamais rien demandé de tel aux US, malgré son succès. Durant ses années de formation (il a notamment écrit plus d’une quarantaine d’épisodes d’X-files), F. Spotnitz dit avoir été entrainé à penser commercial et conditionné à aimer ce qui lui paraissait populaire.
Remarque : cela ne veut pas dire qu’en Europe, on n’aime pas le populaire, mais qu’il est aussi important que cela soit de qualité. Le critère d’audience pour une chaîne comme la BBC, financée sans pub, n’est donc pas essentiel alors que l’audimat est un critère crucial pour les grands networks US.
- Le câble premium et les chaînes à abonnement font des séries que personne ne regarde mais qui attirent les annonceurs : avec l’avènement de Netflix, personne ne sait ce que House of cards fait comme audience mais ces séries font beaucoup parler d’elles.
Mad men par exemple ne performe pas en termes d’audiences mais le show qui a bonne presse attire tout de même les annonceurs, ce qui lui permet de rester à l’antenne.
Remarque : depuis peu, la demande en fictions étrangères commence à augmenter aux US. les Européens ont donc une opportunité à saisir : Downton Abbey par exemple a fait 13 Millions de téléspectateurs sur PBS, et personne ne sait que c’est une série anglaise…
- un système complètement INDUSTRIALISÉ
- la suprématie du SHOWRUNNER
- le règne de l’ATELIER D’ÉCRITURE
- des séries PLOT DRIVEN
- des séries BOUCLÉES
- Le tournage commence avec 3 scénarios écrits sur Transporteur, il en faut 6 sur Vikings.
- 4 auteurs font partie de l’atelier du Transporteur, alors que pour écrire 24 épisodes d’X-files, il n’a fallu que 6 auteurs + 2 freelances.
- des séries RENTABLES
- Un épisode d’X-Files coutait en moyenne 2 M$ la première année pour finir à 4M$ avec le succès sur les saisons suivantes.
- Un épisode du Transporteur coûte environ 2M$, un épisode de Vikings se situe plutôt à 4,5M$.
- Game of Thrones n’a pas réellement de budget, la production paye ce que ça coûte tant le buzz permet à HBO de faire parler d’elle.
- En moyenne, un épisode d’une série lambda coûte 3,5M$.
- des séries PRESTIGIEUSES
Les séries US se distinguent par leur large nombre d’épisodes (12 à 24 épisodes par an) produits en flux tendus. Dans ce cadre, un showrunner est obligatoire pour garantir la qualité. C’est même le critère essentiel : sans showrunner, pas de show, même si le pilote a convaincu.
Alan Gasmer qui produit Vikings n’a pas investi dans un atelier d’écriture. Pas besoin quand il faut écrire seulement 10 épisodes par an et que la production n’est pas en flux tendus. Aux États-Unis, seuls David Kelley ou Aaron Sorkin se permettent de s’en dispenser car les ateliers d’écriture vont de paire avec l’industrialisation. Les scénaristes US doivent écrire vite, beaucoup d’épisodes, or seul un atelier permet de le faire.
Remarque : la TV anglaise est au contraire producer’s driven. Le modèle anglais de production de fiction n’est pas industrialisé. Il n’existe pas de séries à plus de 8 épisodes pourtant, à l’instar de la France, leurs exportations ne s’en portent pas plus mal.
Pour les Américains, tout tourne autour du show et non pas autour de l’auteur. Les téléspectateurs veulent le meilleur show possible, ils ne veulent pas de l’art, ni de la vision d’auteur. D’ailleurs, la vision créative peut être portée par l’auteur, le producteur, etc. peu importe ! L’essentiel est de désigner quelqu’un qui aura le pouvoir la mettre à l’écran. Aux Etats-Unis, ce quelqu’un est souvent le showrunner, c’est-à-dire un super auteur qui gère la production du show en flux tendu et qui en est le garant.
En tout état de cause, pour travailler sur un show international, il faut être un native english speaker, car il est très difficile d’écrire couramment en anglais de sorte que le showrunner n’ait pas à relire. F. Spotnitz déclare n’avoir pas trouvé d’auteurs français, allemands ou italiens capables d’intégrer son atelier à ce jour : des amateurs ?
150 livres (200€) par jour : c’est ce que gagne un scénariste dans un atelier d’écriture en Grande Bretagne. Aux Etats-Unis, les gains ne sont parfois pas comparables.
Dans son atelier d’écriture, F. Spotnitz réclame une écriture visuelle, c’est son critère de recrutement. Même sur une série qui ne nécessiterait pas un atelier (pas de flux tendu) comme Transporteur, F. Spotnitz qui a repris le showrunning pour la saison 2, a décidé de continuer à travailler en atelier parce qu’il trouve cette façon de travailler plus efficace et plus rapide. C’est aussi sa culture.
En tant que showrunner, il établit ce que le show est et sera. Il recrute ensuite ses auteurs sur cette base en se fondant sur les specs (scénarios en spéculation) qu’ils lui ont envoyé en guise de CV.
Anecdote : lorsqu’il a du recruter des auteurs pour X-files, dans les années 90, il n’y avait pas de specs de science-fiction qui étaient écrits en TV. Seuls les genres policier ou médical existaient. Il a alors recruté des auteurs de cinéma qui n’avaient jamais écrit pour la TV.
Remarque : un showrunner peut échouer, être mauvais, et certains auteurs écrivent très bien tout seuls. Le système n’a qu’un seul mérite : il fonctionne et il est rapide. Si vous n’êtes pas en flux tendus, vous êtes tout à fait libre d’utiliser d’autres méthodes.
Chaque diffuseur a sa personnalité et a identifié son audience : AMC veut développer très doucement les personnages, TNT veut aller vite au contraire. Au Royaume-Uni, c’est la même chose : SKY est plus conceptuelle que la BBC, etc.
Quand on vend une série aux US, on vend un produit qui doit être le plus attractif possible. Cette attraction est garantie par l’intrigue principale, c’est-à-dire la mécanique dramatique qui permettra d’assurer un grand nombre d’épisodes. Vous avez reconnu ce que nous appelons ici, la licence (ou tâche). Vendre une série aux US, c’est donc en fait vendre une licence adaptée aux spécificités d’une chaîne…
Les Américains n’ont qu’un mot à la bouche quand il s’agit de série tv : tout tourne autour du mot « serialiazed ». Transporteur en est une parfaite illustration. C’est le même épisode chaque semaine : « Someone to A to B every week » (un type emmène quelqu’un quelque part à chaque épisode, seule l’arène et les guests varient). Les épisodes peuvent ainsi être diffusés dans le désordre.
Un atelier permet par exemple d’obtenir douze épisodes en trois mois. Dans l’atelier de F. Spotnitz, chaque auteur développe 3 idées d’épisodes et les soumet aux autres (4 auteurs obtiennent donc très vite 12 épisodes). La technique du Break down, leur donne les scènes principales de chaque acte sur un board. Chacun donne son avis. Quand le tableau est complet, il ne reste plus qu’à l’écrire sous forme de séquenciers puis de continuités.
Remarque : le rythme et les conditions d’écriture peuvent varier d’un show à l’autre.
On explique souvent en France les causes de la faiblesse de la fiction par le manque de budget, alors que le maître mot aux Etats-Unis est plutôt la notion de rentabilité. Qu’importe le coût pourvu que le modèle économique permette de dégager des bénéfices.
Remarque : quand ils produisent une série tv, les studios achètent le projet. En cas de succès, ils récoltent l’ensemble de la mise. Au Royaume-Uni, les chaînes partagent les frais avec les producteurs mais le show appartient aux auteurs. C’est une grande différence.
Une série tv est une opportunité pour une chaîne de faire parler d’elle, surtout pour les chaînes à abonnement qui ont de petites audiences. The wire est par exemple une série que personne n’a regardé aux US, mais HBO a eu une critique fabuleuse. Le show est alors resté à l’antenne pendant cinq saisons et 60 épisodes.
Les séries TV américaines sont à leur apogée, c’est le meilleur moment pour en faire selon Spotnitz et Gasmer. Les studios sont prêts à produire des shows risqués : « bring us a world we haven’t seen before » alors que le cinéma US s’effondre, les super héros et les franchises fatiguant les auteurs qui se tournent de plus en plus vers la tv.
Vous connaissez maintenant les fondamentaux de l’industrie des séries US où chaque auteur/chaîne se bat pour retenir l’attention dans un paysage concurrentiel et/ou envahi par les coupures publicitaires. Les attentes des Européens envers leurs propres séries sont différentes. Nous verrons dans un prochain billet en quoi les évolutions récentes en matière de séries européennes donnent à réfléchir sur la façon d’écrire notre fiction nationale. D’ici là, n’hésitez pas à réagir et donner votre avis.
High concept remercie The Media Faculty et vous encourage d’ailleurs à vous inscrire à sa prochaine masterclass : écrire des films et séries d’animation où nous serons présents.
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