La notion de personnage est-elle secondaire et soumise à l’action, comme certains l’affirment ? Y aurait-il deux sortes de films, ceux essentiellement fondés sur l’action, avec des personnages schématiques, et ceux avec des personnages psychologiques mais avec peu d’action ? C’est ce que nous allons voir aujourd’hui, dans cet article consacré aux personnages et à leur fonction. […].
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La notion de personnage est-elle secondaire et soumise à l’action, comme certains l’affirment ? Y aurait-il deux sortes de films, ceux essentiellement fondés sur l’action, avec des personnages schématiques, et ceux avec des personnages psychologiques mais avec peu d’action ? C’est ce que nous allons voir aujourd’hui, dans cet article consacré aux personnages et à leur fonction. Action !
À la question : « Faut-il créer l’action du film puis définir les personnages qui incarnent cette action ou, au contraire, faut-il créer un personnage et définir l’action qui le révélera ? », je répondrais : peu importe, tant que le sens est porté par les deux niveaux de l’histoire, action et psychologie. Avec beaucoup d’action, les personnages tendraient à devenir des marionnettes et avec trop de psychologie, l’action se ralentirait et perdrait de son importance. L’idéal est donc d’imbriquer psychologie et action car, comme nous l’avons vu, psychologie et action sont interdépendants.
J’oserai même ce théorème : l’action définit le personnage et le personnage définit l’action.
Les personnages ne SONT que ce qu’ils FONT.
Vieil adage qui s’applique à la vie de tous les jours et qui est encore plus vrai en matière de scénario. Nous l’avons vu dans l’article précédent consacré au conflit : transformer en action un conflit interne est le propre de toute dramatisation. Il faut projeter au dehors tout ce qui se trouve au dedans.
Le théoricien américain Syd Field parle ainsi très justement de « l’intérieur du personnage » (tout ce qui le caractérise depuis sa naissance jusqu’au début de l’action) et de son « extérieur » (ce qui se révèle pendant l’action).
- Un homme donne une pièce à un mendiant.
Cet homme est généreux, compatissant, il aime son prochain. - Nous découvrons ensuite avec le mendiant que cette pièce est en chocolat. Le donateur est un farceur ou encore un cynique. En deux actions, nous sommes passés d’un extrême à l’autre sans une once de dialogue. Deux caractérisations possibles.
Qu’ils soient principaux ou secondaires, c’est donc par leur comportement que les personnages se révèlent au cinéma.
LE COUPLE PROTAGONISTE / ANTAGONISTE
- LE PROTAGONISTE (OU PERSONNAGE PRINCIPAL)
Au risque de se répéter, le personnage principal d’une histoire, celui que l’on nomme le protagoniste, est celui qui vit le plus de conflits. C’est d’ailleurs grâce à ces conflits que l’on s’identifie le plus à lui, même si le personnage est antipathique. (Un bon personnage, aussi sympathique soit-il, pour être intéressant, réaliste, doit avoir sa zone d’ombre, ses défauts, des traits de caractère qui nous agacent. Personne n’est parfait dans la vie, pourquoi le serait-on au cinéma ?)
C’est également le personnage qui porte la proposition thématique et la proposition dramatique du film ; qui, en réaction à une situation donnée, rentre en action, poussé par des motivations et visant un objectif que des obstacles viendront rendre difficile à atteindre.
Remarque : même si l’on raconte l’histoire d’un couple ou d’un groupe, il ne faut qu’un seul personnage principal sans pour autant sacrifier les autres, bien au contraire. Tous les autres personnages devront aussi porter leur proposition thématique et dramatique, avoir leur objectif, leur motivation, leurs obstacles, mais tout cela devra être subordonné au personnage principal.
Les personnages bien dessinés doivent pouvoir se résumer en un mot : courageux, autoritaire, impétueux, laxiste, névrosé… (Pour s’en convaincre, voir par exemple le cours vidéo de Julie sur les les 8 archétypes de personnage en comédie.) Une fois que vous avez opéré ce travail, il est plus facile de dimensionner ses personnages, de les rendre intéressant en leur attribuant un caractère fort qui autorise les conflits, de leur donner cohérence et consistance.
Enfin, pour exister, un personnage, qu’il soit principal ou secondaire, a toujours besoin d’une motivation, d’actions et d’un but. Car c’est ce qui définit clairement qui il est, ce qu’il veut, pourquoi il le veut et quelles actions il est prêt à entreprendre pour atteindre son objectif. Si on ne sait pas pourquoi un personnage fait quelque chose, il est difficile de s’impliquer dans l’histoire : elle perd de sa dynamique et nous nous en désintéressons. En ce sens, on peut dire que le déclencheur, la première fonction dramatique d’un récit qui arme l’objectif (voir la vidéo sur le 1 du 1-2-3 chère à Cédric), est indispensable à la caractérisation autant qu’à la structure ! - L’ANTAGONISTE
Plus réussi est le méchant, plus réussi est le film. (Hitchock)
Après le protagoniste, le personnage le plus important est l’antagoniste. Il poursuit le même objectif que le protagoniste (ou l’objectif strictement opposé) : c’est donc lui qui s’oppose au personnage principal et le fait avancer dans le récit, par réaction. Son rôle est donc essentiel dans la narration.
Cédric m’a récemment confié que, statistiquement, l’erreur la plus fréquente qu’il a corrigée cette année avec Julie dans le cadre de leur activité de script doctor en ligne pour les créateurs de fiction, était l’absence d’antagoniste principal. Selon lui, la peur du manichéisme pourrait expliquer cette fâcheuse tendance à refuser l’incarnation de l’opposition. On pourrait opposer à cette peur que l’antagoniste est tout simplement le contraire de la simplification du monde, parce qu’il incarne la part sombre du protagoniste, dans une personnification de sa psychée.
L’ÉVOLUTION DU PERSONNAGE (OU ARCHE NARRATIVE)
Toute histoire digne de ce nom est une histoire de formation, d’initiation, de conversion. Le personnage qui apprend quelque chose se transforme : le spectateur aussi. Il est donc très important qu’un personnage se révèle à lui-même, s’éveille et s’affirme : le trouillard devient courageux, le jeune-homme un homme, le triste un joyeux.
Les seules transformations déconseillées sont celles qui surviennent à l’improviste. Une transformation qui n’a pas été prise en compte dès l’élaboration du scénario, et qui n’est donc pas traitée, n’est pas crédible et ne trompe personne : elle n’arrive que par pure commodité pour le scénariste.
Pour ressentir fortement la transformation d’un personnage, il est recommandé que le personnage suive toujours le même but, mais plus pour les mêmes raisons. Si on reprend un exemple précédemment utilisé : : « Celui qui ne pensait qu’au pouvoir va découvrir que l’amour est plus important. » (proposition dramatique) / « Parce que celui qui n’était que haine va ressentir l’amour. » (proposition thématique)
- Imaginons que l’objectif de notre personnage soit de prendre la forteresse où s’est réfugié l’usurpateur qui s’est emparé du pouvoir en assassinant sa famille.
Non seulement il pourra se venger mais aussi reprendre le pouvoir. - Mais il a rencontré la fille de celui-ci et en est tombé amoureux. Il apprend qu’elle est aussi dans la forteresse et prisonnière de son père.
Il veut maintenant prendre la forteresse (même objectif) mais plus par haine, seulement par amour.
christophe lebihan
Lumineux. J'ai déjà corrigé des erreurs dans mon scénario grâce à cet article. Je me suis surtout rendu compte que mes personnages principaux et secondaires n'avaient pas de propositions thématiques et dramatiques. Je leur en ai trouvé une et croyez-moi beaucoup de choses me sont sautées à la figure. J'ai pu nourrir instantanément leur caractère. J'ai aussi suivi le changement de motivation mais pas de but pour mon personnage principal, mon personnage s'est transformé d'un coup et je suis remonté en amont pour préparer cette transformation. Super. Merci beaucoup à Marc-Olivier pour ce partage de savoir et de connaissance. Bravo encore une fois à Cédric et Julie pour cette belle initiative. Je vous souhaite à tous beaucoup de succès.
Loic Gandon
C'est le troisième article que je lis de Marc-Olivier Louveau sur l'art d'écrire un scénario. Et je dois dire qu'il a l'art de rendre les choses claires. Sa méthodologie sur le sens et que tout doit en dépendre car il définit tout et tout doit s'y plier est vraiment intéressant. J'attends avec impatience la suite. J'ai cru comprendre qu'il y avait une deuxième partie concernant les personnages. Merci pour nous livrer autant de secret gratuitement. De partager pour nous aider.
Tristan Pichard
Petite question technique. Je travaille en ce moment sur un roman dont les protagonistes principaux sont trois frères et sœurs. J'aimerais qu'aucun des trois ne prennent le pas sur les deux autres et ne soit le "héros". Pour cela, j'ai élaboré une arche narrative pour chacun. Ils poursuivent un objectif commun (une enquête de type policière) mais chacun à son propre objectif, sa propre faiblesse et ainsi de suite. La lecture de ton article, et l'affirmation qu'il ne faut qu'un protagoniste principal, me fait douter de la viabilité de mon projet sous cette forme. Sans doute serait-ce plus simple de choisir un des enfants comme "héros" et de faire des deux autres des alliés. Est-ce un problème auquel tu as déjà été confronté ? Merci d'avance.
High concept
@Tristan : ton roman reprend le principe d'une intrigue chorale (nous suivons plusieurs personnages dont les destins se recoupent à un moment ou à un autre, ou s'entrecroisent de façon continue pendant la narration). Cédric explique la technique pour le faire dans un scénario dans son billet : comment écrire le séquencier d'un épisode de série chorale. Comme tu sembles avoir compris la règle, qui dit 3 protagonistes, dit 3 archétypes, 3 objectifs différents, 3 tâches, etc. C'est vrai qu'en général, il vaut mieux choisir un protagoniste principal (cela aide à structurer), les deux autres constituant des lignes narratives plus mineures (en scénario, on appelle ça des intrigues B, C, etc.). Tu es tout à fait libre cependant de donner à chaque personnage la même importance. C'est un choix d'auteur. Il est bien évident néanmoins que tu augmentes la difficulté (une intrigue simple ne s'écrit pas comme une intrigue chorale). Le roman permet néanmoins plus de souplesse qu'en scénario où des techniques avancées permettent de gérer le temps à allouer à chaque protagoniste. La difficulté principale de l'exercice est de rendre les 3 personnages aussi excitants et intéressants à suivre qu'un seul… La difficulté est donc multipliée par 3 mais à coeur vaillant, rien d'impossible. Bon courage. Julie
High concept
@Marco : je te laisse compléter ma réponse peut-être un peu technique
Tristan Pichard
Non, pas trop technique. C'est très bien. Je n'ai peur de rien, alors je continue sur ma lancée. On verra bien ce que ça donne. Sinon, la réécriture n'est pas fait pour les chiens.
Marc-Olivier Louveau
Rien à ajouter. Sauf peut-être que la difficulté d'un scénario ce sont les règles, les principes dramaturgiques qui sont liés au temps d'un film, tandis qu'en matière de littérature, la difficulté est qu'il n'y a pas de règles, tout est possible, seul le résultat compte.