Initiée par Canal + avec la série « Borgia » (créée par l’Américain Tom Fontana), la vague de la copro internationale semble faire fantasmer nos diffuseurs.
8 MIN. DE LECTURE
L’objectif : pouvoir enfin s’auréoler de séries télé ambitieuses… qu’on ne parviendrait pas à faire tous seuls ?
Suite au cycle de conférences du Media club sur « La nouvelle fiction française », High concept vous propose une réflexion sur le sujet.
« Pour exister à l’international, il faut des séries US »
On le sait. Depuis l’arrivée d’ « Urgences » sur France 2 en 1995, la fiction audiovisuelle française vit à l’heure américaine. Alors même que la production US bat de l’aile, semble se recroqueviller sur elle-même – et que l’on pourrait penser que la fiction française profiterait de ce coup de mou inattendu pour redorer son blason – on assiste plutôt à l’émergence de la série scandinave qui nous a tous pris par surprise (et qu’on adore !).
Pourtant, si l’on veut sortir des frontières européennes et espérer exporter nos productions pour la diffusion (et non le remake), c’est encore dans les pas de l’Oncle Sam que les télés françaises veulent marcher. Les séries américaines restant un exemple de réussite globalisée, et un modèle auquel le public s’est habitué.
C’est justement pour « répondre aux attentes des téléspectateurs » et compenser les season finales de plusieurs séries américaines leur ayant rapporté de gros succès d’audience – et à la concurrence exponentielle du marché – que les chaines de télévision françaises se tournent de plus en plus vers la coproduction internationale avec les Etats-Unis comme ligne d’horizon…
Canal Plus, TF1 et France Télévisions sont les seules à pouvoir s’aligner sur des budgets internationaux (Arte dans une moindre mesure et sur des projets très spécifiques). A 3M$ (2,5M€) par épisode pour une série telle que « Borgia », le coût moyen d’un épisode de coproduction est trois fois supérieur à son équivalent franco-français (857K€ selon le CNC). Le prix à payer pour jouer dans la cour des grands, face aux Américains, champions de l’exportation et du genre.
On comprend donc que la pratique ne représente que 2 projets par an en moyenne (environ 5% de temps d’antenne annuel).
Gone, the french touch ?
Si la coproduction internationale permet non seulement partager l’addition (et donc le risque) mais également de conquérir de nouveaux marchés (sous-tendant ainsi une augmentation de la valeur ajoutée par le budget et l’exposition), en quoi ces projets relèvent-elles d’une spécificité « française » ? Comment définir l’identité d’une fiction « frenchy » ? Est-ce un financement ? Une intrigue ancrée sur un territoire ? Une langue de tournage ? Une vision du monde ? Un modèle économique ? Une méthode dramaturgique ? Et surtout : en quoi cette identité trouve-t-elle sa place dans ces coproductions ?
- La stratégie de TF1 a tenté de mêler le modèle de la série procédurale américaine à des éléments français, comme on a pu le voir sur la série « Jo » (avec Jean Reno), et « Taxi Brooklyn » (avec Jacky Ido) tourné en anglais avec une tête d’affiche française (la première en France, la seconde aux Etats-Unis) et un savoir-faire américain. Pour autant, comme les audiences l’ont prouvé, copier n’est pas jouer. Aucune de ces deux séries n’a transformé l’essai vers une saison 2. Depuis, TF1 refuse même d’axer ses coproductions sur des spécificités françaises.
- On retrouve le même constat chez France 3 avec « The Collection ». Si l’intrigue est « 100% française » dans le contexte (une maison de Haute Couture dans l’après-guerre parisien), le développement, la production et le tournage ont été entièrement réalisés en Grande-Bretagne sous la houlette d’un showrunner américain (Oliver Goldstick). Série boudée par le public français, la décision de France Télévisions est dorénavant de ne plus initier de projets mais de rejoindre des budgets déjà très montés à l’étranger.
- A la différence de Canal Plus qui, quant à lui, continue d’investir dans des sujets français tels « Versailles » et « Panthers »… bien que leurs auteurs soient tous anglophones.
Le fait est que les grands acteurs du secteur français se sont trouvés pour le moins échaudés par les faibles résultats de ces coproductions au point de sembler y favoriser désormais des montages purement financiers à défaut d’une volonté de mise en avant de la créativité française.
TF1 a signé en 2015 un accord de coproduction tripartite, appelé « Trinity », avec NBC Universal et RTL qui a conduit à la production de « Gone » (dont le scénario, la production, le casting et la distribution sont entièrement pris en charge par NBC – première diffusion attendue en France le 23 janvier 2018). Derrière cet accord se cache pour TF1 une stratégie pour couper l’herbe sous le pied de ses concurrents hexagonaux sur l’acquisition de droits d’exploitation exclusifs de ces séries US procédurales « plus proches des attentes des Français », la rendant prioritaire puisque coproductrice.
Le ton est donc donné : des coproductions oui, mais sans influence artistique française.
Quelle place pour les talents français dans la coproduction internationale hexagonale ?
Si à 4 à 5% de temps d’antenne, les coproductions internationales ne représentent pas encore un véritable danger pour nos collègues scénaristes français, plusieurs questions peuvent se poser suite au constat d’un échaudement de nos télévisions à inclure une dimension tricolore à leurs projets. Qu’il s’agisse de « Borgia », « Jo », « Taxi Brooklyn », « The Collection », « Versailles » ou « Panthers », peu voire pas d’auteurs français n’ont été associés au développement de ces séries.
Pourquoi ?
La langue de tournage et d’écriture ! Puisque dans « coproduction internationale » on retrouve le mot « internationale », la langue de communication et de travail (à l’exception des coproductions issues de la francophonie) reste donc en priorité l’anglais. Or, selon les participants du panel de la Masterclass, il est très difficile de trouver des auteurs français maitrisant parfaitement la langue de Shakespeare.
Tandis que TF1 et France Télévisions se contenteraient désormais de participer aux montages financiers de séries étrangères, Canal Plus assume, quant à lui, une stratégie de conquête de marchés européens en premier lieu anglophones (notamment de la Grande-Bretagne, pays réputé pour la qualité de ses productions). On comprend donc qu’il s’associe avec des auteurs dont son public cible (les Britanniques) est habitué au style de narration.
Canal Plus ne s’en cache pas, son objectif est bel et bien d’occuper le terrain avec des séries qui marquent les esprits. Pour lui, le tournage en anglais est synonyme d’une augmentation instantanée du potentiel de ventes d’un projet et d’un distributeur qui mette davantage d’argent sur la table – comme c’est toujours le cas sur des projets produits en anglais – d’où le choix instinctif de se tourner vers des auteurs anglophones. Et notamment britanniques comme c’est le cas pour « Versailles », « Borgia » et « Panthers ».
La France peut-elle encore faire rêver ?
C’est la question que l’on peut se poser à l’issue du débat sur les coproductions internationales. Si la France reste la première destination touristique mondiale, signe d’un intérêt toujours constant pour le patrimoine et/ou la culture frenchy, comment se fait-il que ces programmes audiovisuels séduisent si peu ? Et surtout, comment se fait-il que ces programmes audiovisuels NOUS séduisent si peu ?
Peut-être, tout simplement, parce que de ces coproductions internationales les auteurs français sont trop peu présents. Peut-être parce que, via ces coproductions dont les postes créatifs sont spontanément assignés à des auteurs anglophones dans un fantasme de succès assurés véhiculé par les chaînes, nous avons laissé notre propre représentation à des scénaristes qui nous connaissent finalement mal et dans laquelle le public français ne se reconnait pas. Une bouderie d’audience potentiellement justifiée conduisant les chaines à bannir toute consonance française à leurs projets.
OU, la remise en cause qui fait mal : peut-être ne sommes-nous plus capables de parler de nous-mêmes sans assommer notre auditoire ? Serait-ce, au-delà de la barrière de la langue, la raison pour laquelle nos auteurs sont volontairement écartés de projets à l’envergure internationale ?
Quid de la politique industrielle française pour la fiction ?
Il est toujours un peu facile de blâmer nos scénaristes pour leur supposé « manque de professionnalisme ». D’autant que l’on observe une qualité toujours grandissante de leurs travaux, tant dans la technique que dans les sujets abordés.
Avouons tout de même que nos chaines de télévision ont une grande part de responsabilité dans la qualité de notre fiction. Il est plus facile d’acheter un produit fini qui a déjà fait ses preuves à l’étranger plutôt que de créer le sien. En cela, la télévision française semble toujours faire deux poids, deux mesures. Et l’enjeu central de cette situation porte un nom simple qui fait pourtant frémir la plupart de ses directions de la fiction : la saisonnalité !
Si elle est la condition sine qua none de toute série qui se respecte, elle est d’une apparente trivialité chez nous.
En effet, si les chaînes françaises n’hésitent pas acheter les droits des séries étrangères les plus procédurales (entendez « bouclées »), elles se refusent à développer sur notre marché domestique autre chose que de la mini-série (exception faite de Canal Plus avec « Engrenages » ou « Le Bureau des légendes »).
Car qui dit saisonnalité, dit rythme d’écriture pour livrer un minimum de 12 épisodes par an, et donc des moyens à la hauteur de cette exigence.
Fabrice de la Patellière (Canal Plus) : « Nous n’avons pas encore acquis le rythme des productions anglo-saxonnes. Les chaînes y ont leurs responsabilités. L’industrie anglo-saxonne oblige les auteurs à écrire vite. Aux Etats-Unis, on écrit pendant qu’on produit et qu’on diffuse : c’est un marathon à un rythme très soutenu. Les auteurs sont formés comme cela, dans les universités. Ils ont intégré cette donnée. En France, nous n’avons pas eu cette nécessité-là pendant longtemps. Les chaînes n’ont pas insisté pour avoir des séries tous les ans et, du coup, les auteurs n’ont pas eu l’occasion de s’entraîner et d’apprendre. Il y a des talents qui écrivent bien mais qui ont du mal à le faire vite. Il faut accélérer le processus de création. »
(Le Monde, « Succès français en série », par Daniel Psenny et Martine Delahaye, article du 13 novembre 2015)
Pourtant, si l’on voit se mettre en place une volonté d’industrialisation de la série TV en France (notamment depuis les déclarations de Delphine Ernotte au Festival de La Rochelle), encore faut-il que les chaines françaises acquièrent une culture de la série qu’elles n’ont paradoxalement toujours pas encore. Et qu’elles continueront à ne pas avoir tant que la saisonnalité ne deviendra pas un enjeu central de la création de séries en France.
Dans ces circonstances, on ne peut donc que logiquement se désespérer que nos coproductions internationales ne restent qu’à l’état de montages financiers ou de commande à des auteurs étrangers qui, eux, maîtrisent la saisonnalité d’écriture et représentent donc un moindre risque.
Pour vous former à l’écriture de la série TV et acquérir les bons outils pour appréhender le concept de saisonnalité et en quoi il influe sur la structure du récit, nous avons la solution !
N’hésitez pas non plus à investir dans votre formation et à vous former en distanciel avec notre de pack 10 formations pour apprendre l’écriture agile et obtenir le label HC !
Votre avis