Que reste-t-il de la comédie romantique si la narration refuse le romantisme ? Une suite de gags, sans structure dramatique pour nous identifier à un personnage. Critique de la rom-com Mariage à l'anglaise..
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Les genres cinématographiques n’ont presque pas changés depuis qu’Hollywood les a théorisés il y a près d’un siècle pour traiter efficacement les thématiques qui faisaient un tabac auprès du public. L’Art pose finalement toujours les mêmes questions existentielles. Pourtant, le tout Hollywood est aujourd’hui au chevet de la comédie romantique, qui fait de moins en moins recette.
De nombreux acteurs de la profession* prédisent à la « rom-com » le même destin funeste que le western dans les années 70 : le cheval du cow-boy n’était plus assez rapide pour la génération TV, c’est aujourd’hui la virilité du cavalier lui-même qui est mise à mal dans les histoires d’amour. Conçue d’abord pour parler de la lutte des classes, la comédie avait rapidement étendu son champ thématique pour traiter du mensonge (à l’arrivée du parlant) et surtout de la guerre des sexes. C’est sur ce dernier terrain de jeu qu’elle est dite « romantique », parce que son invention visait à réaffirmer les valeurs du couple traditionnel, malgré la difficulté de faire cohabiter Mars et Vénus (source principale de comédie).
A l’heure où la loi dite du « mariage pour tous » et ses multiples enjeux de PMA et GPA déchirent aussi bien notre pays que les États-Unis, la rom-com reflète évidemment cette bataille morale sur la vision du couple.
Ainsi, que reste t-il de la comédie romantique si l’on détruit les valeurs romantiques traditionnelles, pour mieux surfer sur le féminisme moderne ? Réponse avec la structure du film Mariage à l’anglaise (I give it a year écrit par Dan Mazer).
*Voir par exemple les articles Can the Romantic Comedy be saved? (Vulture, déc. 2012) ou Why Are Romantic Comedies So Bad? (The Atlantic, mars 2013)
Structure du film Mariage à l’anglaise
Le « 1 » du 1-2-3
Cadre en marketing, NAT est une jolie fille ambitieuse, fonceuse et de bonne famille. JOSH est un apprenti romancier sensible, qui passe son temps à glander avec son meilleur ami DANNY, un geek libidineux. Le film commence sur leur coup de foudre : Nat et Josh se marient. Mais personne, de leurs proches jusqu’au pasteur qui officie (en passant par le spectateur), ne croit que leur couple pourra durer ! Il faut dire qu’ils se disputent souvent. Comme par exemple au sujet de CHLOE, une employée d’ONG idéaliste et gaffeuse, visiblement toujours amoureuse de Josh, son ex-petit ami…
Nat et Josh décident d’avoir recours à des séances de thérapie de couple (séances qui viennent armer l’objectif, sauver leur jeune mariage, mais aussi chapitrer le film qui n’est autre que le récit qu’ils font à la thérapeute, en flashbacks).
Le « 2 » du 1-2-3
C’est alors que pour plaire à GUY, un charmant client américain, une COLLÈGUE de Nat pousse la jeune mariée à cacher son alliance. Sous le charme de Nat, ce PDG d’une usine de solvants pour vernis à ongles lui fait la cour (on ne peut plus galantement, pour éviter une accusation de harcèlement sexuel). Ce qui n’est pas pour déplaire à la jeune femme… Et quand Josh l’accompagne à une soirée de boulot et qu’il se ridiculise sur la piste de danse, Nat fait même passer son mari pour un simple collègue auprès du bel américain.Se sentant délaissé par sa femme, Josh se rapproche alors de Chloé et l’embrasse, avant de regretter son geste. C’est alors que lui et Chloé croisent par hasard Nat et Josh dans la rue. Nat n’a d’autre choix que de présenter son mari à Guy, qui tombe des nues. Naïf, Josh, lui, trouve Guy « magnifique » : il irait parfaitement avec Chloé d’après lui. Un dîner à quatre est ainsi organisé.
Le « 3 » du 1-2-3 (SPOILER !)
Lors du repas, Guy rend jaloux Nat en séduisant Chloé. Il propose de raccompagner miss ONG mais Nat prétexte un travail à terminer avec son client américain et c’est elle qui repart avec Guy… pour mieux céder à son désir et coucher avec lui. De son côté, Chloé avoue son amour à Josh et lui pose un ultimatum.Le soir venu, Nat et Josh parlent de divorcer, mais aucun d’eux n’a le courage de prendre cette décision. La thérapie de couple est ainsi décidée (explication des flashbacks), et chacun d’eux fait des efforts pour accepter l’autre… Jusqu’à la fête de leur premier anniversaire de mariage, où Josh finit par trouver le courage de faire sa « demande de divorce » à une Nat ultra-heureuse, devant une famille et des amis médusés. L’ex-couple n’a plus qu’à courir sur le quai de l’Eurostar pour faire respectivement sa déclaration à Guy et à Chloé (qui avaient prévu de se consoler tous les deux à Paris). Le film s’achève ainsi sur un double baiser sur le quai de la gare.
La structure dramatique de la comédie romantique est un mélange de comédie et de love story : si la tâche de Mariage à l’anglaise s’appuie bien ici sur une stratégie de mensonge, qui est propre au premier genre (voir notre masterclass vidéo pour apprendre à structurer votre rom-com avec le genre comique), la structure de la love story est cependant totalement détruite par la vision du monde de l’auteur.
Pour mémoire la love story met en scène un homme et une femme qui 1) sont faits l’un pour l’autre et 2) luttent contre une force supérieure (interne ou externe) qui les empêche d’être ensemble :
1) Pour obtenir l’adhésion du public, qui peut être très puissante à l’aide de cette mécanique, il est nécessaire de prouver au spectateur que les deux personnages sont faits l’un pour l’autre en exposant prosaïquement ce que chacun apporte à l’autre. Non seulement ici Josh n’est pas décrit comme un homme mais comme un enfant, mais son rival Guy est lui aussi privé de sa virilité (un PDG d’usine de solvant pour vernis à ongles qui craint le harcèlement sexuel ? Vraiment ?) On a du mal à comprendre ce que ces types pourront apporter à une Nat qui cumule déjà archétypes féminins ET masculins (pouvoir, poigne, etc.)
2) Depuis « Roméo et Juliette », nos attentes sur les intrigues amoureuses sont importantes. Avant tout, le principe de la love Story est de contrarier l’amour en présence d’une force antagoniste extérieure ou intérieure extrêmement puissante, qui obligera les deux protagonistes à surmonter leurs failles respectives. Qui aurait cru qu’au XXIe siècle il soit si difficile de divorcer au point d’en faire un film ? Quelle est cette pression sociale si forte qu’elle empêche Nat et Josh de se séparer alors qu’à Paris, un couple sur deux le fait sans une demie seconde d’hésitation ?
L’égalité homme-femme, voire le girl power, nous auraient-ils fait perdre le sens du romantisme ? Peut-il y avoir encore, ne serait-ce qu’au cinéma, des princes charmants quand les femmes ont appris depuis quelques années à se sauver toutes seules ?
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